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Documents sur Augustin Schoeffler

Missions Etrangères de Paris

 

SOMMAIRE DES LETTRES RETRANSCRITES ICI:

 

Lettre de Mgr Fenouil au P. Cosserat sur le V.[énérable] Aug. Schoeffler[Reçue à Lons le Saulnier. juin [signé:] J.J.G [?]] Yûn nân sin 13 avril 1893

Témoignage d'Elise Schoeffler (document inédit)

Lettre de M. GOUTELLE à M. Cosserat : 2 feuilles, 8 pages petit format; Prov. Ap. du Tonkin Taly [?] 28 juillet 1893; Reçue à Marseille 27 oct. 1893

Lettre de M. Ch. Aug. Scheffler [sic] martyrisé au Tonquin à Mr. Aug. Verrier alors aspirant au séminaire des missions étrangères à Paris le 15 sept 48

Lettre de M. Ch. Aug. Schoeffler / martyrisé au Tonquin, / à Mr Aug. Verrier alors aspirant au séminaire des Missions étrangères à Paris 1849

 

[Lettre de Mgr Fenouil au P. Cosserat sur le V.[énérable] Aug. Schoeffler

[Reçue à Lons le Saulnier. juin [signé:] J.J.G [?]]

Yûn nân sin 13 avril 1893

Monsieur et bien cher Confrère,

Et moi aussi je voudrais faire quelque chose pour la glorification de nos martyrs, et les intérêts du vénérable Schoeffler me touchent de fort près. Condisciples à Paris et compagnons de route par le Cap de Bonne-Espérance, nous nous dîmes le dernier adieu à la procure de Hong Kong, en 1848. M. Schoeffler avait une piété solide et éclairée : pour le bien une volonté

{bas de la 1ère page:]

Monsieur Cosserat Provicaire apostolique du Tong Kin Occidental à Paris

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de fer, ceux qui connaissent le milieu pénible où dut se passer sa première jeunesse, les rudes tentations qu'il eut à surmonter, peuvent apprécier sa vertu à sa juste valeur. Pas scrupuleux d'ailleurs ; humeur toujours égale et gaieté franche : c'était son état habituel. Toujours prêt à vous rendre service, s'oubliant pour vous obliger. Pour tout au monde, il n'aurait jamais franchi les bornes du devoir. Sans s'en douter le futur martyr était un modèle sûr et sans aucune prétention. Notre Vénérable et cher ami était un de ces hommes qui ne cherchent pas à attirer les regards ; un de ces hommes modestes chez lesquels tout est bien et rien n'éclate.

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Quand même, je saurais tenir la plume, écrire élégamment, jusqu'à intéresser les âmes les plus distraites, je serais fort en peine, si en dehors de son séjour au Tong Kin, où se passèrent les divers [sic] scènes de son martyre ; où chacun vit ou put voir le courage que ce héros sut déployer, il me fallait écrire dix pages seulement sur ce cher et vénérable ami. Je le prie cependant tous les jours avec grande confiance. Son exemple nous encourage et doit rassurer ceux dont la conduite n'a rien de merveilleux. En 1891 je suis allé jusqu'aux frontières du Tong Kin ; ma première pensée était de pousser jusqu'à Hanoi et faire un pèlerinage aux lieux où le Vénérable Martyr a cueilli sa dernière palme. A mon grand regret je dus m'arrêter à Lao-Kay. A cette heure je ne puis plus espérer de refaire le voyage, à moins toutefois qu'il ne faille y passer pour nous rendre au jugement dernier.

Adieu, Monsieur et bien cher confrère. Désolé de ne pouvoir remplir vos espérances. J'ai l'honneur d'être vôtre très humble et tout dévoué serviteur

+ Jean Jh Ev. de Téné dor [?]

vic. apost. du Yûn nân

 

 

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DOCUMENT INEDIT

Témoignage d'Elise Schoeffler

Dans une liasse de documents consultés aux Archives des Missions Etrangères, au mois de mars 1994, un ensemble de huit pages manuscrites, grand format, sans signature, sans date... La lecture permet rapidement d'identifier l'auteur et la période. Lorsque le dossier en vue de la béatification fut constitué, on demanda des témoignages à ceux qui avaient connu Augustin. Elise Schoeffler, née en 1809 à Phalsbourg, était la tante d'Augustin, mais il n'y avait que treize années d'écart entre eux. Elle est décédée à Lunéville en 1883. Il va entretenir une correspondance régulière avec elle : 26 lettres (sur un total de 88). C'est dire la place qu'elle occupait pour lui. Il faudrait trouver des détails biographiques sur Elise qui a tenu, avec Mlle Klein, un pensionnat à Wiesbaden, voulu en créer un à Paris, le fit à Nancy. Dans ce témoignage, Elise atténue son rôle d'opposante farouche au départ d'Augustin. Nous pensons que ce texte peut - malgré son style, témoin d'une époque - faire découvrir Augustin au travers de la mémoire bienveillante d'Elise.

"Les premières années, comme le reste de la vie de notre cher et Vénérable[1] Martyr Augustin Schoeffler ont été marquées par des traits caractéristiques qui, plus tard, nous ont prouvé que c'était un enfant sur lequel le Bon Dieu avait des vues particulières.

A l'âge d'un an et demi, lors de la naissance de sa soeur[2], ses tantes[3], toutes jeunes fillettes supplièrent leur mère de leur permettre d'aller chercher chez ses parents à Mittelbronn, le cher enfant, l'idole de la famille, ce à quoi, cette bonne aïeule[4] consenti et d'autant plus volontiers qu'elle affectionnait singulièrement son petit-fils premier-né d'un fils[5] qu'elle aimait beaucoup. Quant au grand-père, il était heureux quand, quittant ses sérieuses occupations d'ingénieur du Génie à Phalsbourg[6], il redevenait enfant en passant ses heures de loisirs à amuser son petit fils ; de plus, il était l'objet des plus tendres soins de ses tantes à peine âgées de quelques années de plus que lui ; une atmosphère d'amour l'entourait constamment au milieu de laquelle il aurait pu devenir un enfant gâté si ses bonnes dispositions naturelles ne l'en avaient préservé.

Son enfance fut donc calme et heureuse ; élevé au milieu de la plus tendre affection et ayant devant les yeux les exemples de vertu d'une famille chrétienne et les préceptes de sa pieuse et bonne aïeule.

Il montra une piété précoce ; à l'âge de 3 - 4 ans, il était heureux quand on le conduisait à l'église ; sa joie éclatait surtout quand il entendait chanter des cantiques auxquels il mêlait sa voix enfantine, car il les avait appris à la maison[7] , ces cantiques. Tout petit encore, il aimait la Ste Vierge qu'il appelait sa bonne Mère ; et combien il était content quand on lui permettait de nous accompagner à la Bonne Fontaine, Chapelle dédiée à la Ste Vierge, à 3 kil. de Phalsbourg[8] ; là, il déposait aux pieds de l'autel de la Mère de Dieu le bouquet dont il avait fait la cueillette en route. Jusqu'à sa mort, il conserva cette filiale dévotion à la Ste Vierge, car il m'écrivait de l'empire d'Annam, qu'ayant été atteint de Choléra et les médecins l'ayant abandonné, lui, il avait un petit remède qu'ils ne connaissaient pas : "J'invoquais ma bonne Mère, et je fus guéri". Malgré sa vivacité turbulente, il était obéissant, respectueux. Il montra de bonne heure une grande charité pour les pauvres ; que de fois, il donna son goûter à de pauvres enfants passant devant notre porte ; que de fois il couvrit les têtes nues de ces pauvres enfants en leur mettant sur la tête soit sa toque, soit son chapeau ; et comme il demandait aimablement des sous à sa grand-mère pour les déposer avec joie dans la main d'un vieillard mendiant.

Ce fut dans cette heureuse période de sa vie, qu'il éprouva son premier chagrin sérieux ; la mort prématurée de notre mère vénérée, son aïeule[9], qu'il aimait avec toute la vivacité de son coeur ardent, y fit une blessure profonde et ce fut bien sincèrement qu'il mêla ses larmes précoces aux nôtres.

Son oncle prêtre et curé dans le diocèse de Nancy[10] fut son premier instituteur, le premier qui, sérieusement, développa chez lui les belles dispositions de son coeur et de son esprit ; comme il aurait vivement désiré se vouer aux Missions étrangères si sa santé délicate et sa frêle constitution le lui eussent permis, il déposa dans son coeur le germe de sa future vocation. Que de fois, j'ai entendu ce bon frère lui faire un tableau touchant du sort de ces milliers de païens gémissant dans l'ignorance, faute des secours de la parole évangélique ; alors, il lui parlait d'un de ses amis, Monsieur Masson[11], missionnaire en Chine ; il lisait à haute voix les lettres[12] qu'il recevait de cet ami en exprimant ses amers regrets de ne pouvoir le rejoindre dans sa mission. Tout cela éveilla chez notre cher Augustin les premiers désirs de devenir missionnaire.

Il commença ses études à l'âge de sept ans, sous la direction de son pieux oncle qui développa en lui cette piété douce et aimable qui le caractérisait.

Le ciel l'ayant admirablement doué[13], malgré une vivacité et une pétulance rares, il fit de bons progrès au début de ses études. Quand son oncle trouva le moment opportun de le mettre en contact avec des enfants de son âge, il fut placé comme interne dans le collège communal de Phalsbourg dirigé alors par Mr. l'abbé Dauphin prêtre aussi pieux que savant; sous sa paternelle direction, il continua de s'avancer et dans la voie du bien et dans ses études où il continua à se signaler par ses aptitudes hors lignes et malgré son application, il était le boute-en-train des jeux de sa classe. Par les belles qualités de son coeur, son esprit aimable et son caractère gai et franc, il sut se gagner l'affection de ses maîtres et de ses camarades, qui, aujourd'hui encore en parlent avec attendrissement, en se rappelant sa franche et cordiale amitié.

En sortant du Collège de Phalsbourg, il entra au Petit Séminaire de Pont-à-Mousson, et comme son oncle était curé non loin de Pont-à-Mousson[14], il présenta son neveu à Monseigneur Donnet, alors coadjuteur de Monseigneur Forbin de Janson[15], évêque de Nancy, et cet évêque le prit en affection au point de lui proposer, plus tard, de venir le rejoindre à Bordeaux, mais il refusa cette offre gracieuse, car déjà alors, il songeait sérieusement aux missions étrangères.

Pendant sa première année de Grand Séminaire à Nancy, nous eûmes le malheur de perdre mon frère, l'abbé Schoeffler[16], enlevé à notre affection à l'âge de 40 ans pendant une mission à Munich où l'avait envoyé son Evêque, Mgr Menjaud, après un séjour de six semaines dans cette ville ; cette mort fut un coup terrible pour la famille et notre cher Martyr en fut profondément affecté ; dès lors, plus que jamais, toutes ses pensées se concentrèrent sur un même objet : les Missions de la Chine. Il ne s'en ouvrit encore à personne de sa famille, prévoyant la lutte qu'il aurait à soutenir. Mon frère étant mort le 3 mars, je me rendis aux instantes prières de mon neveu, j'allai le voir à Nancy, pour son ordination à la tonsure[17] ; malgré la distance - j'habitais Wiesbaden où j'avais fondé une maison d'éducation pour jeunes filles - je me rendis à sa prière, et ce fut alors qu'il me confia le secret de sa vocation[18] qui ne me surprit pas, mais qui me peina beaucoup à l'idée de perdre aussi ce cher enfant après avoir perdu mon frère, mon meilleur ami, mon guide. Je lui fis les réflexions que ma conscience me dictait, faisant taire mon coeur ; il fut heureux de ma résignation[19], car m'aimant beaucoup, il aurait été affligé de me faire de la peine.

Deux ans après, quand il eût sérieusement mûri son projet, devant Dieu, qu'il eût consulté des prêtres éclairés qui le connaissaient depuis son enfance, il en parla à son père. Comme il s'y était attendu, le coup fut foudroyant pour son pauvre père qui voyait en son fils le successeur de son frère, dans le sacerdoce, mais l'exerçant dans notre diocèse ; il lui fit les représentations les plus pathétiques, lui parla de son oncle qu'il devait remplacer dans la famille. Sa mère, ses jeunes soeurs unirent leurs instances à celles de son père pour l'ébranler dans sa résolution, mais tout fut vain[20] ; il leur déclara respectueusement, mais avec fermeté, que le Bon Dieu l'appelait aux missions de la Chine, que son oncle lui avait obtenu cette grâce du Ciel à laquelle rien ne le ferait résister.

Il est facile de comprendre quels combats le cher enfant eût à livrer à ses sentiments filiaux et fraternels, lui, si sensible, au coeur si bon, si dévoué à sa famille chérie ; quels déchirements il éprouva à ses gémissements ; quelle force d'âme il lui fallut pour supporter les assauts qu'on lui livrait et du côté de sa famille et de celui des amis. Mais comme il me l'écrivait : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous."[21]

Il vint passer trois semaines chez moi, à Wiesbaden, avant d'entrer au Séminaire des Missions à Paris. Pendant ce trop court séjour, je pus apprécier combien il s'était fortifié dans la vertu depuis que je ne vivais plus près de lui, quelle âme pure, quelle force de caractère, quelle abnégation évangélique.

Notre bien aimé Martyr m'avait toujours singulièrement affectionnée et de là découlait nécessairement la confiance qu'il avait en moi ; car il savait que, bien jeune déjà, le malheur m'avait mûrie, aussi m'ouvrit-il son coeur entièrement, et malgré la peine que me causait l'idée d'une séparation pour la vie, je devais me rendre à ses arguments.

Par devoir, je lui fis toutes les représentations que mon amour fraternel pour son père me suggérait. Je lui représentais le vide que la mort de son oncle avait fait dans la famille et qu'il semblait appelé à combler ; je laissais parler mon coeur relativement à moi-même ; je lui dépeignais la douleur que son départ me causerait ; en un mot, je cherchais à toucher toutes les cordes sensibles de son âme. Il m'écoutait en silence ; il semblait réfléchir, puis me saisissant les mains, il les serrait sur son coeur en me disant : "Vous êtes ma bonne tante, vous ne voudriez pas m'arracher au Bon Dieu qui m'appelle à la haute destinée de Missionnaire ; grâce insigne dont je suis bien indigne, mais que je dois bien certainement à mon vénérable oncle qui est au Ciel où il l'a demandée et obtenue du Bon Dieu ; non, ma tante, rien ne pourra ébranler ma résolution. O ! ma tante, ajoutait-il quel bonheur pour vous, pour ma famille et pour moi, si le bon Dieu m'accorde la couronne du martyre, à moi si indigne ! Au lieu de pleurer mon départ, demandez à J. C. qu'il me donne la force de quitter ma famille, sans trop la peiner, de persévérer dans ma vocation et de verser mon sang pour Lui." Et puis, bonne tante, ajoutait-il : "Gaudete in Domino semper[22]. Oui réjouissons-nous" et dans son aimable gaieté, il se mettait au piano et chantait un cantique. Pendant ces quelques semaines passées chez moi, j'ai pu apprécier sa piété aimable, son heureux caractère, son aménité qui lui gagnait la sympathie de toutes les personnes qui le voyaient.

Par ma situation sociale, j'étais en rapport de position avec les familles notables de la ville, des Messieurs de la noblesse, fervents catholiques[23] l'ayant connu chez moi, l'invitèrent à des soirées de famille ; il déclina avec politesse ces avances cordiales disant en riant : "Ma soutane aurait mauvaise grâce dans vos salons" ; tout ce qu'il se permit en ce genre, fut d'accompagner parfois ces Messieurs à une promenade à la campagne ; quand je lui observais qu'il pourrait bien se permettre d'accepter une invitation, il me répondait très sérieusement : "Vous ne savez pas, ma tante, que cela nous est défendu". Oh ! il possédait une profonde humilité et une grande abnégation, d'autant plus solidement établies en lui, qu'il aurait pu être facilement entraîné, par son extrême vivacité, à des actes contraires à ces vertus.

L'heure de la séparation approchait. Il me consacra exclusivement les derniers jours qu'il passa en Allemagne ; il avait, certainement, le pressentiment que nous ne nous reverrions plus dans ce monde. Il allait marcher au martyre, ce qui était son voeu le plus ardent.

Ayant été enfant, avec notre cher martyr, élevés ensemble, il était bien naturel que mon amour pour lui fut plus vif que celui, que d'ordinaire, on a pour un neveu, et c'était réciproque. Ici encore, je vis l'énergie de sa volonté et sa force d'âme. "Donnons-nous rendez-vous, ma bonne tante dans le Coeur de Jésus au St Sacrement de l'autel ; là, nous nous retrouverons tous les jours, et nous y serons à l'abri. Quand vous verrez la lune paisible au firmament, portez-y vos regards, là, vous me retrouverez aussi, mais ce sera alors dans le Coeur de notre bonne Mère dont elle est l'image pure et modeste. Voici les endroits où m'attendre tous les jours !"

Je lui mis au cou, avant de le quitter, un petit crucifix attaché à une chaîne avec mes cheveux ; il me promit de le porter toujours ; si je relate ce petit incident, c'est pour observer, que ce fut probablement le crucifix[24] qu'il serra sur son coeur en marchant au martyre.

Je ne parlerai pas des derniers jours qu'il passa dans sa famille ; il m'écrivait seulement que son père et sa mère étaient résignés et qu'il les quitterait le coeur tranquille[25].

Il m'écrivait rarement de Paris[26], me disant, pour justifier son silence, qu'il devait tout son temps à ses études et à sa préparation à l'Apostolat.

Il était entré au Séminaire des Missions Etrangères en automne, et le printemps suivant, la divine Providence lui ménageait une dernière, mais cruelle épreuve ; son bon père fut enlevé à sa famille dans la force de l'âge[27] -dans la quarantaine - et l'on croyait que sa mort avait eu pour cause, en partie, le départ de son fils. Il en avait été, ce que le Bon Dieu avait voulu ; il devait encore subir de rudes attaques, le cher enfant, car il semblait que maintenant un devoir impérieux devait le retenir dans sa famille déjà toute éprouvée. Il n'en fut rien ; il persévéra dans son héroïque résolution, et l'automne suivant, il partait pour le Tonkin.

Je ne suivrai pas notre Missionnaire dans son voyage ; il m'en a fait la relation dans les lettres qu'il m'écrivait de l'Asie[28], qui doivent se trouver chez le R.P. Général des Dominicains à Rome.

Les dernières lettres d'Europe, il me les écrivit d'Anvers, et voici à quel propos. Le vaisseau sur lequel il s'était embarqué, avait eu de fortes avaries à sa sortie de l'Escaut ; on dut faire relâche pour remettre le navire et cette opération devait durer huit jours, au moins ; il m'informa immédiatement[29] de cet incident, et je m'empressai de lui envoyer de l'argent, le priant instamment de venir passer quelques jours chez moi y attendre la réparation du navire ; ce petit voyage, il aurait pu facilement l'effectuer en prenant un bateau à vapeur, du Rhin ; il eût encore la force de résister à mes prières.

Seulement, il m'écrivit au moment de se rembarquer.

Pour terminer, je relaterai ce que Monsieur l'abbé Bour, chanoine de N.-D. de Paris, me communiqua quelques années plus tard. "J'avais obtenu la permission d'assister à la bénédiction des jeunes Missionnaires à la Chapelle de la Mission la veille du départ[30] de ces héros de la foi ; cérémonie si imposante à laquelle se trouvait un certain nombre d'Evêques; de plus, on m'accorda la faveur de passer la nuit avec notre cher Missionnaire que j'avais connu enfant. Je lui fis toutes les représentations que mon amitié pour lui et sa famille m'inspirait afin de l'engager à renoncer aux Missions, alors le jeune Missionnaire me dit d'un ton solennel : Monsieur l'abbé, ne me tenez pas un pareil langage : je veux être missionnaire, je veux mourir martyr pour le salut de toute ma famille que je veux sauver en versant mon sang pour Jésus-Christ."

Ce sont à peu près les mêmes paroles qu'il m'écrivait quelques jours avant sa [...........]

"O ! ma tante que je serai heureux si je pouvais verser un petit verre de mon sang pour Jésus Christ !"[31]

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Lettre de M. GOUTELLE à M. Cosserat : 2 feuilles, 8 pages petit format

Taly [?] 28 juillet 1893

"A.M.D.G.

"M. Cosserat

Prov. Ap. du Tonkin

Reçue à Marseille

27 oct. 1893

J.J.G.[?] Monsieur et bien vénéré Confrère,

J'ai reçu ces jours-ci votre honorable lettre du 3 février 1893, dans laquelle vous me demandez des renseignements détaillés de la vie du vén. martyr Aug. Schoeffler. Je voudrais pouvoir remplir vos désirs, mais malheureusement c'est une tâche au-dessus de mes forces. Il est vrai qu'il était de mon temps à Paris, de la même ordination, du même départ, et du même voyage, mais ce sont des souvenirs de près d'un demi siècle qu'il faut me rappeler. N'ayant pas prévu que j'en aurais besoin un jour, je n'ai pas pris la peine ni d'examiner sa conduite, ses vertus, et ses exemples, ni d'en prendre note. Maintenant ma mémoire me fait défaut et j'ai entièrement perdu de vu [sic] ce qui pourrait vous être utile et vous édifier. Je pense que vous vous êtes aussi adressé à Mgr. Fenouil, qui ne manquera pas de vous mieux renseigner que moi. Il a été aussi à même de le connaître et a eu peut-être plus de rapports intimes avec lui. Quoiqu'il en soit, j'aurai peu de choses à vous raconter. Je ne refuse cependant pas de vous le dire. Ne ferai-je qu'apporter une seule fleur à sa couronne, ce serait pour moi un motif suffisant de ne pas me taire.

Je passe sous silence toutes les années de son enfance et de sa jeunesse jusqu'au temps du séminaire de Paris. Ce n'est que là que j'ai copmencé à le connaître. Ce qui précède cette époque m'est tout à fait inconnu. Pendant mes trois ans de séminaire, j'ai eu peu de liaison intime avec lui et peu d'occasion d'entrer dans son intérieur. Tout ce que je puis affirmer, c'est qu'il était doué d'intelligence, plein de talents et de savoir ; sa vie d'aspirant a toujours été très exemplaire, et je n'ai jamais rien vu en lui ni entendu de peu édifiant.

M. Charrier, étant revenu du Tonkin pour être directeur du séminaire, ne tarda pas à remarquer la piété et toutes les bonnes qualités de M. Schoeffler. Il jeta de bonne heure les yeux sur lui pour sa Mission du Tonkin. Souvent pendant les récréations, il l'appelait dans

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le but de l'examiner plus profondément. Comme j'étais aussi l'objet d'un examen semblable, je me trouvai souvent chez lui avec M. Schoeffler. Nous étions heureux de l'entendre parler de sa Mission, du bien qui s'y faisait, du zèle et de l'entrain de son Vicaire apostolique d'alors, de ses brillantes qualités, de l'ardeur de chaque missionnaire, du regret d'avoirété forcé de quitter une si belle Mission, du moyen à prendre pour faire des conversions, des fautes à éviter, et enfin de l'espoir qu'il y avait du martyre, qui lui avait échappé. Le zèle de M. Schoeffler était enflammé par ces conversations, il lui tardait d'aller au milieu de ces idolâtres ou autres, pour leur consacrer sa vie et son sang et unir ses efforts à ses devanciers. Le choix de M. Charrier était décidé. Ne pouvant pas obtenir dans le conseil deux missionnaires alors pour le Tonkin, sans balancer, il donna la préférence à M. Schoeffler. Il la méritait bien, et M. Charrier, en homme qui s'y entendait, ne se trompait pas. Sa conduite exemplaireau Tonkin et sa fin glorieuse l'ont prouvé.

Pendant son séminaire de Paris, Messieurs les directeurs, pleins de confiance en sa prudence et en sa capacité, crurent devoir se servir de lui pour une affaire grave et délicate de notre société. Il s'agissait de retirer M. Rorbacher [sic] d'une erreur où il avait été induit dans son histoire de l'Eglise au sujet des rites chinois. On prit la résolution pour cela d'inviter cet historien à Paris, afin de mettre sous ses yeux les documents nécessaires et irrécusables. M. Schoeffler, qui le connaissait et qui avait été son élève, fut chargé de lui écrire une lettre d'invitation. IL s'en acquitta si bien que tout réussit à souhait. La bulle du Pape qui lui fut remise le fit rentrer dans la vérité. Dire que M. Schoeffler avait été l'élève de M. Rorbacher [sic], c'est dire qu'il en avait reçu un grand amour et une grande soumission pour l'Eglise romaine et pour e Pape. Cet amour et cette soumission ne firent que se fortifier et augmenter au séminaire de Paris, où ils ont toujours été en grande estime. Pendant la traversée[,] toutes les fois que 'occasion se présentait, il était toujours un des meilleurs combattants pour le défendre. Il lui était dévoué de coeur et d'âme, il se faisait un honneur et une gloire de se dire soldat du Pape.

Il se prépara à son ordination avec une grande ferveur, et célébra sa 1ère messe avec une dévotion et une foi peu communes. Ce jour-là était un des plus beaux de sa vie. Ayant peu après reçu sa destination, il s'abandonna entièrement à la direction de M. Cahrrier, il suivit ses conseils en tout, soit pour

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les préparatifs du départ, soit pour la traversée, et soit pour le temps de son apostolat en Mission. Avec un maître si expérimenté, il ne pouvait que bien se préparer au martyre. Son désir de verser son sang pour J.C. devint d'autant plus grand, que son maître spirituel lui en avait donné un plus grand exemple, et que sa Mission était une de celles où il y avait plus de chance de l'obtenir. On aurait dit qu'il en avait quelque pressentiment. C'est ce qu'il me manifesta un jour sur le navire. Si j'obtiens un jour, comme je le désire et je l'espère, le petit coup, c'est ainsi qu'il le désignait, et si j'ai au ciel quelque avis [?] auprès de Dieu, Père Goutelle vous pouvez compter sur moi. Selon ses désirs, il a eu le petit coup, et s'il avait déjà alors, sans que je le lui demande, la charité de me promettre son secours, que ne fera-t-il pas maintenant au ciel, où tout est parfait, maintenant dis-je, que je le supplie de se rappeler sa promesse à bord de l'Emmanuel. J'espère beaucoup et tous ceux qui espérent en lui doivent avoir la même confiance d'être exaucés.

C'était en 1847 quelque temps après la Ste Trinité, qu'eut lieu notre départ, et par conséquent le sien. Nous étions sept. Nous montâmes en chemin de fer pour la Belgique et nous nous rendions à Anvers, où nous devions nous embraquer sur l'Escaut. Après un court séjour dans cette ville, nous montâmes sur l'Emmanuel, navire belge, qui devait nous conduire jusqu'à Singapour, et l'heure venue on leva l'ancre et nous voilà en marche. Inutile de dire la joie de M. Schoeffler et la nôtre. Mais il avait oublié, lui comme nous tous, que nous entrions dans la route du calvaire, dans le chemin de la croix, dans la voie des souffrances et des contradictions. La Providence voulait sans doute nous apprendre combien la patience est nécessaire à tout missionnaire depuis le commencement jusqu'à la fin. Par sa permission le pilote fit un faux commandement et le vaisseau s'étant trop rapproché de la rive toucha à terre et s'arrêta. La marée descendant peu à peu nous laissa manquer d'eau. Le navire se coucha insensiblement et tout son personnel fut obligé de s'accrocher comme il put à un de ses bords, au vu et su de toute la ville, qui était accourue sur le quai pour contempler le curieux spectacle de notre naufrage. Cet accident arriva si doucement et continua si entement que nos vies ne coururent pas beaucoup de danger. Nous étions tous en âge et en force de nous cramponner solidement. Aussi les spectateurs ne se pressèrent pas de venir à notre secours. Nous demeurâmes ainsi perchés et en spectacle pendant

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au moins une heure, ne pensant qu'à nous préserver de rouler dans l'eau. Enfin des ordres avaient été donnés, et une barque vint nous prendre et nous conduire à terre. Nous arrivâmes au milieu de la foule comme des objets de curiosité et chacun s'approchait les plus possible pour cntempler la grimace [?] de notre aventure. M. Schoeffler et ses compagnons ne firent que sourire sans témoigner le moindre mécontentement. Ne connaissant pas le pays, nous allâmes nous installer dans la 1ère auberge venue. Sans le savoir, nous nous étions floués. Des voix charitables ne tardèrent pas de nous avertir que nous étions logés dans une maison malfamée et que nous ne pouvions pas y demeurer convenablement. Mais dans le court séjour que nous y fîmes, nous ne vîmes rien d'inconvenant.

Notre 1er soin fut de télégraphier à Paris pour annoncer aux directeurs du séminaire notre naufrage, les avertir du retard présumé d'un mois que nous allions essuyer, des dépenses extraordinaires que nous ne pouvions éviter, et leur demander s'il fallait retourner à Paris.En effet le commandant refusait de partir sans s'assurer que le navire n'avait pas d'avarie. Pour cela, il fallait le rentrer au port, le décharger et le renverser ; ce qui demandait un bon mois de retard. Il nous fut répondu qu'il valait mieux rester à Anvers et qu'un des directeurs du séminaire allait venir sans retard nous rejoindre pour régler notre position. Le directeur annoncé ne tarda pas d'arriver et M. Schoeffler eut la consolation d'embrasser encore une fois M. Charrier qui avait été délégué par le séminaire vers nous. Tout fut arrangé au-delà de nos espérances. L'armateurse chargea de nous loger et de payer toutes les dépenses extraordinaires de notre retard. Notre futur martyr passa ainsi un mois à Anvers avec ses compagnons à édifier tout le monde par sa piété, sa patience et son humilité.

Enfin le vaisseau sortit de nouveau du port ; nous remontâmes à bord avec une grande joie et nous descendîmes l'Escaut jusqu'à l'entrée de la Manche. Le mauvais temps qui menaçait nous fit essuyer un nouveau retard de 15 jours. Deux fois pendant ce temps nous descendîmes à terre en Hollande et nous allâmesrendre visite au pauvre prêtre curé de l'endroit. Ses chrétiens étaient peu nombreux et perdus au milieu des protestants. Le coeur de M. Schoeffler fut navré du malheur de tant d'âmes plongées dans les ténèbres de l'erreur. C'était une image de qu'il devait trouver au Tonkin. Un désir de leur conversion et un soupir vers Dieu fut tout ce qu'il put offrir pour leur retour à la vérité. Avant de quitter pour toujours ce pays de l'erreur, il voulut avoir une idée claire

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de la bonne tenue des temples protestants. En voilà un, dit-il, sur notre passage, allons le visiter. En y entrant, M. Schoeffler se découvrit. Je lui fit remarquer sa faute, et il me répondit qu'il l'avait fait par mégarde et sans respect pour l'erreur. Tout y était nu et triste, il n'y avait que les quatre murs. En revenant sur le navire, manquant d'expérience pour diriger notre barque, nous faillîmes être emportés par le courant. Les gens du bord, effrayés du danger que nous courrions, nous criaient de manoeuvrer à droite ou à gauche. Grâce à leurs indications et à la Providence, qui destinait M. Schoeffler à une mort plus glorieuse pour son nom et le salut des âmes, nous délivra d'un naufrage certain. On nous reçut à bord avec de vifs reproches sur notre maladresse, et nous nous contentâmesd'en rire, parce que nous ne nous étions pas rendu compte du danger où nous avions été.

Le temps parut s'améliorer un peu, mais à peine fumes-nous entrés dans la Manche, que la tempête redevint plus menaçante. Pour l'éviter on se hâta de se diriger vers l'Angleterre. A la tombée de la nuit, nous arrivâmes en face du port. L'obscurité était profonde, le vent violent, et les vagues en fureur. On apercevait clairement le phare qui indiquait la côte. On fit partir plusieurs coups de canon pour donner le signal de notre présence et inviter le pilote à venir nous prendre pour nous conduire au port. Mais personne ne donna signe de vie. Etait-ce faute d'entendre, était-ce mauvaise volonté, nous ne l'avons jamais su. Dieu ne voulut pas permettre un nouveau retard. Après avoir louvoyé toute la nuit au point du jour on crut pouvoir continuer la marche en avant et arriver dans le grand océan avant l'explosition [sic] de la tempête.

En effet nous fumes bientôt hors de toute crainte. Mais une autre épreuve vint visiter M. Schoeffler et ses compagnons. Ce fut le mal de mer. J'en fus victime pendant une 15 aine de jours. Ce qui en augmentait la rigueur, c'était la violence de la mer et la fureur des vagues. Les nausées, les soulèvements de coeur, les vomissements ne cessaient pas. Les souffrances étaient telles que lamort nous aurait semblé douce. Cependant M. Schoeffler faisait des efforts surhumains pour surmonter ses malaises, s'armer de courage, et exercer même la charité. Un jour me voyant assis près du grand mât dans un grand abattement, il s'approche de moi, et oubliant presque ses propres souffrances, me dit : Allons Père Goutelle, bon courage : je n'en puis plus, lui répondis-je, - ne vous laissez pas accabler par cette croix, voyons, venez vous promener. En même temps, il me tendit la

[page 6 :]main, me donna le bras, m'entraina malgré le tangage insupportable et chercha à me distraire en me parlant de ses propres malaises et des mérites des souffrances. Cette maladie, dont peu de personnes s'exemptaient, n'a rien de dangereux. C'est pourquoi au lieu de s'apitoyer sur notre malheureux sort, on ne fait qu'en plaisanter.

Peu à peu tout rentra dans l'état normal. Son zèle pour le salut des matelots ne tarda pas à se réveiller. Il eut pitié de ces pauvres gens qui ne donnaient plus aucun signe de religion faute d'instruction et d'exhortation. La prédication n'était pas facile ; deux ou trois d'entre eux seulement comprenaient le français, et les officiers du navire pour la plupart étaient des ennemis déclarés de la religion. Heureusement M. Schoeffler connaissait le flamand [en marge : l'allemand, J.J.C.] , et c'est dans cette langue qu'il entrepris de prêcher en des entretiens particuliers et secrets. Dieu bénit ses efforts et il eut le bonheur d'en convertir 25, de les réconcilier avec Dieu, et de les faire asseoir à la table sainte. Le diable tenta plusieurs fois d'empêcher ce bien des âmes, mais il su avec la grâce divine déjouer tous ces projets impies. Une des conversions les plus remarquables fut celle du docteur du vaisseau. Il était protestant et après la conversion, il entretint une correspondance littéraire avec lui jusqu'en Mission.

L'Emmanuel nous déposa à Syncapour selon les conventions. Là nous fumes obligés d'attendre un mois l'occasion d'un navire pour nous conduire à Hong Kong. Nous avions mis six mois pour faire le grand tour. Avec le mois de retard à Anvers nous comptions déjà huit mois de voyage. Sur le conseil de M. Beurel, procureur de Syncapour, nous nous mîmes tous à l'étude de la langue anglaise, M. Schoeffler comme les autres. La raison que nous donnait ce cher procureur, c'est que nous ne savions pas où nous pouvons nous trouver, qu'il y a toujours utilité à apprendre tout ce qu'on a l'occasion d'apprendre, et qu'on a grand tort de ne pas profiter de ces occasions. Nous ne tardâmes pas de faire l'expérience d'un si bon conseil, car ce fut un navire anglais qui se chargea de nous conduire à Hong Kong. Le vent n'étant pas favorable, cette seconde partie du voyage dura un mois. Nous n'étions pas encore descendus à terre que nous apprîmes la chute de Louis-Philippe. Arrivé à la procure, les esprits étaient un peu agités par l'heureux succès du voyage et par les événements de France, dont la nouvelle venait d'arriver. Pour égayer la compagnie on s'avisa de nommer un ministère à la procure et M. Schoeffler fut choisi pour ministre de la guerre. Ce qui lui

[page 7 : ] fit donner cette dignité, c'est son air martial, courageux et décidé. Cependant la douceur et la modestie ne lui faisaient pas défaut. Il était d'un caractère aimable, conciliant et dévoué.

Le zèle de M. Schoeffler l'emportait vers sa Mission du Tonkin. C'est là que son esprit se transportait continuellement. Arrivé à Hong Kong après huit mois de longs soupirs, il se voyait à la porte. Encore un pas et il s'élançait en héros dans sa nouvelle patrie. Cependant sa patience devait être mise à l'épreuve. Les grandes chaleurs commençaient. Les divers courriers qui nous attendaient déjà depuis longtemps à la procure dirent qu'il était impossible de se mettre en route par ce soleil brûlant. C'aurait été nous exposer à une mort presque certaine. Du reste ce n'était pas l'usage dans ces pays d'entreprendre un long voyage dans un temps pareil et la violation de cette coutume aurait pu nous trahir et nous faire reconnaître pour une marchandise prohibée. Il fallut donc bon gré mal gré se résigner à attendre la fin de l'été. Ce fut encore un retard de cinq mois, que nous passâmes à la procure. M. Schoeffler ne perdit pas son temps. Grâce à la présence de ses courriers, il se mit avec ardeur à l'étude de la langue tonkinoise et il y fit de véritables progrès.

Enfin l'heure de la Providence arriva. Nous quittâmes Hong-Kong et nous embarquâmes six missionnaires sur une jonque macaonaise qui devait nous conduire à Lafou sur les limites de la Chine et du Tonkin. Sans le savoir j'avais été destiné après coup par le conseil de Paris pour me rendre au Tonkin avec M. Schoeffler, soit que la nouvelle arriva trop tard, soit que M. Libois fut d'un avis contraire, je partis pour ma première destination avec trois autres confrères. M. Schoeffler et un autre se rendirent au Tonkin. De la procure à la jonque, je marchais à côté de M. Schoeffler, son coeur était ému et enthousiasmé ; il me dit : eh bien ! M. Goutelle, c'est pour la vie que nous allons à la vigne du Seigneur. C'est bien mon intention, lui répondis-je. En passant nous saluâmes Macao et nous allâmes coucher dans un port de Haï-nan. Le lendemain au soir, une barque des chrétiens de Lafou prévenus, vint nous prendre à une certaine distance, et à la faveur des ténèbres nous conduisit tout près de la maison de la station, où nous nous rendîmes tous six en marchant péniblement sur les bords des rizières. Aucun payen ne nous vit, aucun ne

[page 8 :]

soupçonna notre arrivée dans le pays. Chacun se hata de faire ses préparatifs pour continuer son voyage. Au bout d'un jour ou deux, je dis adieu à M. Schoeffler, qui se dirigea vers sa Mission, et dès lors je n'ai plus eu aucun rapport avec lui, et je ne l'ai plus revu. Environ deux ans après, j'appris qu'il avait reçu la palme du martyre, qu'il avait tant désirée. J'en rendis grâce à Dieu et je commençai à lui rappeler la promesse qu'il m'avait faite sur l'Emmanuel. Sa carrière a été courte et il a été un fruit bientôt mûr pour le ciel. Quant à moi, je gémis encore sur cette terre d'exil, dont je ne puis voir la fin. Daigne notre vénérable martyr m'aider à en sortir et à aller le rejoindre dans la céleste patrie, amen, amen.

Comme vous voyez, vénéré confrère, c'est bien peu de chose à la louange de M. Schoeffler. Mes souvenirs sont bien maigres. Ils vous seront peu utiles, mais j'espère que d'autres y suppléeront abondamment.

Je profite de cette occasion pour vous offrir l'assurance de mes sentiments respectueux.

Votre tout dévoué serviteur

J/B. Goutelle

miss. ap. du Thibet

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Premiers pas au Tonkin

"Lettre de M. Ch. Aug. Scheffler [sic] martyrisé au Tonquin à Mr. Aug. Verrier alors aspirant au séminaire des missions étrangères à Paris - actuellement curé à Lupé diocèse de Lyon"[32] (2 feuilles, petit format - 4 pages) (cachet à froid : archevêché de Lyon et de Vienne)

J.M.J. Collège de Ban phet le 15 sept 48

Tout pour Jésus Marie

Bien cher Auguste,

Tu[33] mériterais presque que je me mette à te donner une fameuse réprimande. Comment je n'ai pas encore reçu de tes nouvelles depuis mon passage à Syncapore ! C'est un peu méchant tu en conviendras toi-même. Et tant de grandes choses se sont passées depuis cette époque. La révolution française[34] et toutes ses premières phases et toi-même tu viens de monter dans la hiérarchie ecclésiastique. Quoique pour un aspirant aux missions l'époque du sous diaconat[35] n'ait pas la gravité qu'elle a quand on est encore dans un autre séminaire, car le sacrifice est déjà [fait] ; cependant ce jour où l'on se dévoue pour jamais à son Dieu ne se passe pas sans émotions et sans souvenirs. Pour moi je me rappellerai toujours ce moment terrible de ma vie. Que de larmes ! Quels soupirs! avant de quitter ce monde qui me souriait encore. O mon Dieu ! pardonnez-moi si j'ai balancé un instant à me donner tout entier à vous ; il est si doux de vous aimer de vous servir.

Tu es donc sous-diacre, bien cher ami, chaque jour dorénavant la même prière sortira de nos lèvres pour s'élever vers Dieu[36]. Ah ! chaque fois pensons l'un à l 'autre. Pour moi, je puis t'assurer que je n'ai pas encore manqué à cette promesse de l'amitié. Il y a un an que j'allais te dire un dernier adieu et que d'événements passés depuis cette époque ! que de fois j'ai été obligé d'admirer les voies de la divine Providence ! Dans un an, ton tour, bien cher ami, s'approchera, tu seras diacre et quelques mois passés bien vite, tu seras prêtre, tu seras apôtre. Heureux jour pour toi, heureux jour pour ceux que tu seras appelé à évangéliser.

Les événements du commencement de mon voyage, tu les connais jusqu'à Hong Kong[37]. Le 6 juin, à ce que je crois, je quittais cette ville le coeur un peu gros en disant adieu à mes derniers compagnons de France et après avoir passé une nuit assez triste, j'arrivais le lendemain à Macao et deux jours après, ayant préalablement endossé l'habit chinois, je me rends de nuit à la jonque à laquelle je confie mon sort. Les premiers jours de traversée furent heureux, je devins l'ami de mon capitaine de navire, jeune chinois de mon âge, je m'entretenais longuement avec lui par le moyen de mes courriers[38], de l'Europe, de religion et j'espérais presque en faire un chrétien. Mais arrivé à un certain article de la morale chrétienne[39], il ne put l'accepter et ces conférences religieuses se refroidirent un peu. Peut-être que les quelques mots que je lui ai dit, Dieu les fera fructifier plus tard. Fiat ! Fiat ! car c'est une âme bien simple et bien belle si elle était dépouillée des vices presque nécessaires au sein du paganisme. Les choses allaient donc bien lorsque je faillis devenir la proie des mandarins chinois, on voulait me vendre, mais mon capitaine prit la fuite aussitôt et quelques jours après je quittais sa jonque par un beau clair de lune et je montais [dans] une pauvre petite barque toute brisée qui devait me conduire dans une chrétienté à 4 lieues de là. Un petit coin m'y était réservé et il fallut me mettre la tête entre les deux jambes afin de pouvoir entrer dans un petit trou. Fatigué, harassé je m'endormis et bientôt je suis réveillé par des cris ; un ouragan venait de nous assaillir. Mon acte de contrition était fait et j'avais dit adieu à ce monde. Marie, ma mère, j'aime à le croire, me sauva et j'arrivai au bout de deux jours, au lieu de quatre heures, dans la chrétienté désignée. Ici il faut encore fuir des infidèles qui veulent me capturer et aller passer par une nuit assez épaisse au milieu de jonques de pirates chinois qui attendent les voyageurs au passage. Je passe sous leur nez sans danger pour faillir être pris par un mandarin tonquinois. Déjà il posait un pied sur ma barque, un coup de rame donné à propos fit valser ce téméraire au milieu des flots et nous de fuir au plus vite. Le mandarin nous poursuit, mais il ne peut nous atteindre.

Enfin j'arrive après avoir franchi avec assez de bonheur deux douanes tonquinoises, au palais épiscopal[40] de Mgr d'Hermosilla, Vicaire apostolique du Tonkin oriental. Nous passons quelques joyeux jours ensemble avec quelques autres pères Dominicains, chantant causant, riant. Il fallu se séparer et Monseigneur vint avec moi jusqu'au palais épiscopal de son coadjuteur. J'eus ici encore le bonheur de passer quelques heureux jours avec ces deux excellents évêques et je les quittais pour rentrer enfin dans notre vicariat.

Deux jours après, les os brisés par mon filet[41], j'arrive au séminaire dirigé par Monseigneur Jeantet. Mr. Legrand y était. Quelques jours heureux furent encore passés ensemble, puis il fallut se séparer. Monseigneur seul restait avec ses théologiens[42], Mr Legrand retournait dans son district et moi je me dirigeais, après avoir bu force médecine tonquinoise pour remettre ma santé, vers un petit collège situé au milieu de la plus grande solitude. Entour[é] de montagnes, devant moi seulement, je vois se déployer une vaste étandue d'eau, fruit de l'inondation[43], richesse de ces pays. Quelques bouquets d'arbres [trou dans le papier........] que là il y a des villages tous infidèles à l'exception d'un seul qui se trouve à ma gauche. Que n'es-tu près de moi au milieu de cette nature sauvage ! Quelles belles réflexions ont est porté à faire en ces lieux ! Bien souvent, je désire voir près de moi plusieurs de mes amis comme naguère St Augustin dans sa solitude de Cassiacum et nous occuper à aimer Jésus, Marie et à travailler à la gloire du Christ er de son Eglise. Mais il nous faudrait aussi un St Augustin pour diriger nos pas. Non, d'autres plages sont l'objet de tes voeux et malgré tout le désir que j'ai de te voir près de moi, j'offre cependant chaque jour au St Sacrifice une prière à Jésus pour toi afin qu'il te fasse voir le pays de ta prédilection. - Rien de nouveau au Tonquin. Je n'ai pas encore eu le bonheur de voir Monseigneur Retord. Ses lettres me prouvent que j'ai trouvé un père en lui. En attendant que je le suive dans ses courses apostoliques, j'apprends ici la langue. Mais pas sans difficulté. Prie [le] bon Dieu, Marie, qu'ils m'aident dans cette étude.

Je te dis qu'il n'y a rien de nouveau au Tonquin. C'est faux. Nous avons un nouvel édit de persécution tout récent et je viens d'apprendre tout à l'heure que le mandarin de ma province vient de le promulguer. Une forte somme est promise à celui qui vendra un européen. Le sang doit-il encore couler ? Dieu le sait. Pour mon compte, je suis bien près à offrir à Jésus le peu que je possède. -- Que font les deux amis de collège ?

Adieu, écris moi bientôt. Je voulais t'envoyer quelques chants[44] composés par les missionnaires annamites , mais le temps et l'espace me manque[nt]. Plus tard, quand tu seras en mission, je pourrai te les envoyer si tu le désires.

[l'adresse :] Monsieur / Verrier aspirant au séminaire des / Miss. Etrang / Paris

[en bas de la page : ]

Le bonjour à tous les bons enfants du séminaire qui pensent encore à moi, Maricien [?], Jacquemin, Fernon [?] etc.

Pour toi, bien cher ami, je t'embrasse comme je t'aime de toute mon âme dans les coeurs sacrés de Jésus et de Marie

Ton ami Ch. Aug. Schoeffler

Prie pour moi ! Rappelle moi au souvenir de ton bon frère quand tu le [verras]"

 

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Lettre de M. Ch. Aug. Schoeffler / martyrisé au Tonquin, / à Mr Aug. Verrier alors aspirant au séminaire des Missions étrangères à Paris - actuellement curé à Lupé, diocèse de Lyon. 2 feuilles grand format, 1 feuille supplémentaire, plus petite.

(cachet : Archevêché de Lyon et Vienne)

"Mr. Verrier au séminaire + le 1er lundi de carême [?] 1849

des Missions étrangères à Paris J.M.J

Que la croix de Jésus soit notre unique amour [?]

Bien cher Auguste,

Le grand format de mon papier te prouve que j'ai la volonté de t'écrire une bien longue lettre, en effet, telle est mon idée, je ne sais cependant si je répondrai à ton attente. Dans tous les cas, je vais commencer et si je ne sais plus que te dire, ma plume écrira tout ce quilui viendra. -- J'ai reçu les deux lettres que tu m'as écrites, je les ai reçues l'une et l'autre ici. J'ai aussi reçu les journaux (l'Ere nouvelle [?]) que tu as eu la bonté de m'envoyer par Mr Mounicou. Je les ai lus ou du moins parcourus, car l'étude de la languem'empêche de m'occuper beaucoup d'autres choses ; mais enfin j'ai pu les prêter à mes chers confrères qui les ont lus avec beaucoup de plaisir. Tu me parles de bien des choses et tu oublies de me dire si tu es sous-diacre, j'ai regardé en tous sens ta signature afin de voir si j'y rencontrerais le s.d. de coutume, mais je n'y ai vu que le M.A. [?] Donne moi donc des nouvelles à ce sujet car cela m'intéresse beaucoup. Il faut espérer que ta maladie ne sera rien et qu'après t'être reposé q. q. temps et avoir respiré l'air de l'orient, tu seras plus fort que jamais. Je te conseille fortement d'abandonner l'orgue ; cela t'agace les nerfs et t'empêche de prendre l'exercice corporel qui t'est nécessaire. D'ailleurs cet instrument te sera de peu d'utilité, pour ne pas dire d'aucun, quelque soit la mission où le bon Dieu t'appelle, à moins que tu ailles dans l'Inde ce que tu ne désires pas. Pour ce qui est de ta vocation, de ta prédilection pour une mission plus tôt que pour une autre, sois la desus bien indifférent, car dès qu'il y a des infidèles à convertir que ce soit au Japon ou au Pérou peu importe, la récompense de ses travaux sera toujours aussi belle car partout il y a à souffrir. Je t'assure qu'actuellement je suis bien revenu de la prédilection d'une mission sur une autre, si j'étais encore à Paris peu m'importerait le champ qui me serait dévolu à défricher [le texte porte "déchiffrer" !]. Si Dieu destine une âme à des grandes choses, au martyr par exemple, sa divine Providence saura le trouver partout et par des circonstances inconnues aux hommes faire parvenir ce coeur au but de ses désirs.

Venons à notre Tonquin. Te dire que je suis heureux par ici, je te l'ai déjà dit dans ma dernière lettre et quoique bien souvent on pense aux amis que l'on a laissé en France, cependant on ne regrette pas la patrie, on ne voit au contraire que le pays qui vous entoure est le sol qui vous a vu naître. Les commencements sont un peu durs il faut l'avouer, les maladies, changements de manière de vivre, cela coûte un peu, mais qu'importe, Jésus a bien plus souffert pour nous, n'est-il pas juste que nous nous efforcions de prouver par nos efforts notre reconnaissance pour tous ses bienfaits. Les maladies ne m'ont pas manqué et depuis 7 mois à peu près que je suis ici, 3 ont été passé presque à boire des médecines annamites. Une fois même, je croyais mourir, deux heures de plus et j'étais deséspéré : une médecine me fut donnée et au bout de deux jours j'étais rétabli. Quoi qu'il en soit mon petit paquet était près pour l'autre monde, il était bien vide de mérites et il fallait que j'ai une bien grande confiance en la divine miséricorde de notre bon maître pour oser me présenter [.............] devant lui . -- Depuis près de 3 mois j'accompagne Mgneur Retord et tedire toute la bonté, la sainteté de ce brave évêque m'est impossible. Il faut bien convenir que les lyonnais sont de bons enfants. Qu'en dis-tu ? Je puis bien dire qu'auprès de sa grandeur je passe les plus beaux jours de ma vie.

[page 2 :]

Nous ne nous sommes pas encore mis en campagne d'administration, le décret de persécution lancé contre nous, pauvres européens, force sa grandeur à se tenir sur ses gardes. Cependant je crois que dans q.q. temps nous allons nous remettre en route. A ma prochaine lettre donc je te parlerai de la manière que sa grandeur fait l'administration toujours suivie de tant de fruits. Je viens de te parler de décret de persécution. Quelles en ont été les suites me demanderas-tu peut-être ? Les voici : c'est que Mgr Jeantet bloqué avec Mr Gassot [?] et Collombet dans son palais épiscopal n'a pu presque se sauver que par un miracle. Un autre confrère se sauvant à travers étangs et marais n'a pu trouver refuge que dans la maison d'un bon payen. Un autre confrère faillit deux fois être pris , la dernière fois, au mois de janvier de cette année et sans une barque qui se présenta presque à l'improviste où il put se cacher sur [sic] un tas de filet, il devenait la proie du mandarin. Et toi, as-tu déjà été obligé de fuir, me demanderas-tu , oui certainement, j'ai fais deux fuites de prévoyance. La première fois, un mandarin paraissait avoir l'intention de venir visiter le petit collège au milieu des montagnes où j'apprenais la langue , la pluie l'empêcha de remplir son projet mais pas moins, dès quatre heures du matin le jour de Notre Dame des 7 douleurs (beau jour !) j'allais me confiner au milieu des rochers. L'autrefois ce fut une alerte de q. q. instants et deux heures après ma fuite je pus revenir au logis. Tu vois qu'on ne manque pas de tribulations par ici. Je ne te donne pas de longs détails sur ces événements ce serait trop et d'ailleurs je pense que les annales parleront des deux chers confrères que le bon Dieu a si visiblement protégés.

Depuis 3 mois, je puis entendre les confessions de nos chers annamites et je t'assure que dans l'exercice de ce ministère il y a bien des consolations par ici.

 

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[1]Augustin est déclaré "Vénérable" le 24 septembre 1857 (Mangenot, p. 85). Ce document est donc postérieur.

[2]Augustin est l'aîné de six enfants. La petite soeur, ici mentionnée, Joséphine Christine est née le 30 avril 1823. Il y aura ensuite : Marguerite Caroline en 1826, Marie Claire en 1828, Marie Thérèse Antoinette Célestine en 1831 et Eugène Albert Charles Joseph en 1835 (Généalogie établie par M. Robert Boehm).

[3]Les soeurs du père d'Augustin : Elisabeth qui écrit ce document, Marie Louise née en 1811, Caroline née en 1815.

[4]Marie Claire Baumgarten, née à Lutzelbourg en 1774, fille d'un meunier.

[5]Antoine Schoeffler, né en 1799 à Phalsbourg, épouse Madeleine Heimroth à Mittelbronn, le 14 février 1822. Il est décédé le 23 mai 1847 (une semaine avant l'ordination sacerdotale d'Augustin), "boulanger à Phalsbourg", inhumé à Mittelbronn. Il avait été d'abord instituteur.

[6]Elisabeth arrange un peu la réalité et semble accorder une promotion à son père qui est simplement mentionné comme "garde du Génie en retraite à Phalsbourg, chevalier de la Légion d'honneur". Il faudrait trouver plus de détails sur chacun des membres de la famille !

[7]Toute sa vie, Augustin aimera le chant et la musique. Il sera chef de choeur au séminaire de Nancy.

[8]Le pèlerinage de Notre Dame de Bonne Fontaine, tout proche en effet, restera cher à Augustin qui a une grande dévotion à Marie.

[9]Elle décède le 18 janvier 1834, Augustin a 11 ans.

[10]L'abbé Charles Louis Schoeffler, né le 11 février 1803 à Phalsbourg, prêtre en 1827, curé à Arraye jusqu'en 1832, vicaire à Fénétrange peu de temps en 1832, curé de Bettborn de 1833 à 1841, curé de Saint Louis jusqu'en décembre 1842, est envoyé comme aumônier à Munich chez les Soeurs du Bon Pasteur où il meurt le 2 mars 1843, âgé de 39 ans. L'oncle Charles a eu une grande influence sur Augustin qui aimait bien aussi son oncle André, né à Phalsbourg en 1805, celui-ci fera une carrière militaire.

[11]Mgr Guillaume-Clément Masson, né à St Clément en 1801, prêtre des Missions Etrangères de Paris envoyé au Tonkin vers 1824, coadjuteur du Vicaire apostolique (= évêque auxiliaire) du Tonkin méridional. Les lettres de M. Masson étaient publiées dans un journal catholique de Nancy L'Espérance.

[12]Il serait bien intéressant de les retrouver ! Les archives de la Bibliothèque diocèsaine de Nancy possèdent un ensemble important de lettres de M. Masson.

[13]Là aussi, Elise force un peu le tableau ! Les appréciations des maîtres d'Augustin sont plus ordinaires, il était un élève "moyen". Les palmarès du Petit séminaire de Pont-à-Mousson ont été imprimés. Augustin n'est pas mentionné en 1838 (5e), en 4e, il a le premier accessit d'instruction religieuse dans un cours de 94 élèves, le 2e accessit d'histoire et géographie, le 1er prix d'histoire naturelle (c'est sa meilleure année), en 3e, il est mentionné pour le 4e accessit de musique vocale, puis plus rien en seconde. Ses maîtres le disent : "élève ordinaire, bon enfant, mouvementé" (Lettre du supérieur du Petit séminaire à M. Mangenot, 26 mai 1900). On notera que - sauf erreur - Augustin n'est pas en avance ! Il est âgé de 16 ans en 5e ! En seconde, en 1841, il a 19 ans...

[14]A Arraye et Han (54) ? Pourtant, en novembre 1837, quand Augustin entre au Petit séminaire, l'oncle Charles est curé de Bettborn ! Tante Elise a une mauvaise mémoire et elle mentionne une présentation à Mgr Donnet, puis une proposition d'embauche qui semblent peu vraisemblables, surtout la seconde. Elle "arrange" un peu les relations de son neveu...

[15]Les prises de positions maladroites de cet évêque l'obligèrent à fuir Nancy en 1830, il ne put jamais revenir. C'est lui qui fonda l'Oeuvre de la Ste Enfance pour aider les Missions.

[16]Ce décès affecte beaucoup Augustin (voir lettre du 22 mars 1843, à Elise). En souvenir de son oncle, Augustin signera souvent : "Charles Augustin", comme reprenant le flambeau laissé.

[17]Cf. Lettre du 16 mai 1843 ?

[18]De nouveau, il semble bien que Elise refait un peu l'histoire. Certes, les lettres font mentions des Missions dès avril 1843, mais c'est de cette manière : " [...] j'avais toujours l'intention de me vouer aux Missions étrangères, mais puisque mes bonnes tantes ont besoin de moi, je délaisserai ce projet et j'espère que Dieu ne bénira pas moins mes vues que si je les avais remplies, car c'est lui qui a permis que l'on enleva mon cher oncle à ses soeurs, et maintenant c'est moi qui doit le remplacer ici" (27 avril 1843). De nouveau, il fait allusion aux Missions dans une lettre du 18 juillet 1843, mais c'est pour rassurer : " Je ne sais pourquoi, mais depuis quelques temps, plus que jamais, je ne rêve que missions, pays étrangers : voilà pourtant quelles sont les vues du démon. Dans les temps, lorsque cela pouvait être, il m'en détournait et maintenant que tant de devoirs m'attachent à la France, à mon pays, il voudrait m'en éloigner. Mais il ne saurait y parvenir, quoiqu'il fasse, je le combattrai à outrance."Ce n'est que dans sa lettre du 3 juillet 1846 qu'Augustin, au dernier moment, mettra sa tante au courant de ses intentions. Elise fera tout pour empêcher Augustin de partir au loin. Elle écrira au Supérieur des Missions Etrangères de Paris (cf. lettres du 3 et du 30 nov. 1846), interviendra auprès de l'Evêque de Nancy.

[19]Bien au contraire ! Elle ne s'est jamais résignée à son départ.

[20]L'opposition familiale au départ sera durement ressentie par Augustin qui ira jusqu'à écrire à son ami Louis Hoffer, le 12 nov. 1846 : " [...] pourvu que l'on travaille pour le bon Dieu et que l'on soit délivré de ses parents qui sont proprement les inimici domestici dont parle St Paul." Il s'agit plutôt d'une citation de Mt 10, 36, reprenant Michée 7,6 : " on aura pour ennemis les gens de sa maison". Cette opposition des parents se traduira par des embarras d'argent qui reviennent souvent dans les lettres qui précèdent le départ : il aurait besoin d'acheter ce qu'il lui faut emporter. Les parents laisseront une "ardoise" de 200 F au Séminaire de Nancy. Il y a encore beaucoup à trouver pour expliquer ces difficultés familiales.

[21]Romains 8, 31. Nous n'avons pas trouvé trace de cette citation dans les lettres connues.

[22]"Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur" (Phil. 4, 4).

[23][en marge dans le texte :] Les catholiques des contrées rhénanes ayant journellement à lutter contre des doctrines opposées à nos croyances sont en général bien ferventes, très attachées à la foi de l'église, dévouées de coeur aux prêtres. Cela peut expliquer les avances cordiales faites au futur Missionnaire qu'ils entouraient de leur respectueuse sympathie.

[24]En effet, le récit de Mgr Retord, paru dans les Annales de la Propagation de la Foi (janv. 1852, p. 5 à 32), indique : " Arrivé au lieu du supplice, le martyr se mit un instant en prière, à genoux sur le bord d'un champ, et offrit avec la plus grande ferveur le sacrifice de sa vie à Dieu : il prit dans ses mains le petit crucifix qu'il portait sur lui, le baisa par trois fois avec une tendre émotion".

[25]"Dans huit jours [lettre du 3 juillet 1846] ... je vais faire mes adieux à ma famille qui a fait le généreux sacrifice de moi et par-là m'a donné la plus grande marque d'amour et de confiance et de résignation en la volonté de Dieu." Cela n'a pas du se passer ainsi puisqu'il semble avoir quitter ses parents sans véritables adieux, comme s'il rentrait au Séminaire de Nancy... A éclaircir.

[26]Il y a tout de même 5 lettres envoyées de Paris, mais c'est vrai que nous n'avons pas de lettre entre le 14 février 1847 et le 11 septembre 1847. Dans ces lettres, il se préoccupe beaucoup du projet - à ses yeux irréaliste - que sa tante a d'ouvrir un pensionnat à Paris.

[27]Voir note 5.

[28]Notamment la lettre commencée le 12 avril 1848, "à bord du Prince Albert". C'est la plus longue que nous connaissions actuellement, seize pages grand format, conservée aux Archives de la Bibliothèque diocésaine de Nancy. Cette relation du voyage a du être envoyée à plusieurs correspondants. L'indication de la présence des lettres à Rome, pour le procès de béatification, laisse entrevoir la possibilité de trouver dans les archives des dominicains, à Rome, d'autres documents.

[29]Lettre du 14 octobre 1847... l'incident date déjà d'un mois ! L'échouage a lieu le 19 sept. Il leur écrira encore d'Anvers le 2 novembre. Et cette lettre commence ainsi : "Mes bonnes amies [il s'adresse aussi à Melle Klein], votre lettre m'a peiné. Je vous dirai le mot, oui, elle m'a peiné. Croyez-vous que si je me repentais la moindre des choses de ma résolution, que le maudit respect humain serait capable de me retenir et de me faire jouer si légèrement mon avenir et temporel et éternel. Toutes les considérations que vous me faites, j'ai été obligé de les faire avant de me décider. Vous me dites que tous ces Messieurs de Nancy ne croient pas à ma soi-disant vocation. Je crois bien que vos informations sont fausses, car j'ai entre les mains les actes authentiques du contraire." Jusqu'au dernier moment et profitant de ce faux départ, Elise a essayé de l'empêcher de partir.

[30]Cette cérémonie a été peinte par Coubertin (le père du restaurateur des Jeux olympiques), le tableau, très connu, est exposé dans le grand escalier des Missions Etrangères de Paris. Charles Gounod a mis en musique un chant du départ des missionnaires. La cérémonie était d'autant plus émouvante que ceux qui partaient avaient bien peu de chances de revenir.

[31]L'expression devait être familière à Augustin. Un autre témoin, l'abbé Speth, la rapporte dans une lettre de 1900, citée dans le n°1 de ce bulletin, p. 3. Cependant on ne la trouve pas dans les lettres à Elise.

[32]Tout reste à trouver sur ce prêtre, Auguste Verrier, qui a été condisciple d'Augustin au Séminaire des Missions Etrangères et qui est ensuite revenu dans son diocèse. Cette lettre a été trouvée avec une autre, adressée au même en mars 1994 dans les archives des M.E.P. Cela porte à 88 le nombre des lettres connues d'Augustin... en janvier 1993, il n'y en avait que 73.

[33]Augustin utilise toujours le vouvoiement, sauf pour son ami Louis Hoffer et pour cet Auguste.

[34]Celle de 1848.

[35]C'était le moment de l'engagement définitif au célibat. Actuellement c'est le diaconat pour ceux qui seront ordonnés prêtres.

[36]Les sous-diacres étaient tenus à la récitation du bréviaire comme les diacres, les prêtres.

[37]Cela signifie qu'il a reçu une autre lettre auparavant, lettre perdue.

[38]Jeunes chrétiens annamites, bilingues, qui aidaient les missionnaires européens.

[39]Une autre lettre indique qu'il s'agit de l'usage de l'opium.

[40]"Nous demeurâmes deux jours seulement au palais épiscopal de Mgr Hermozilla. Ne va pas te méprendre, ma soeur, à ce nom pompeux de palais épiscopal. Ce n'est rien moins qu'une pauvre cabane, moitié bois, moitié boue, et couverte de paille. Ici toutes les habitations sont de ce genre." Dans Bienheureux Théophane Vénard, Lettres, p. 141.

[41]"Dans ces pays on ne va jamais en voiture, les chemins sont trop étroits pour cela ; ni à cheval, il n'y en a presque pas ici ; ni en palanquin, ni en chaise, comme en Chine et à Macao ; on marche à pied, ou bien l'on est porté en filet. Ces filets sont faits de la même manière que ceux dont on se sert pour prendre les poissons, mais ils n'ont pas la même forme. On les attache par les deux bouts à une perche que deux hommes portent sur leurs épaules, et l'on couvre le tout d'une natte qui défend contre les rayons du soleil et les regards des curieux " (Note de Mgr Retord, l'évêque d'Augustin, dans la Vie de Monseigneur Pierre-André Retord, Lyon, 1859, p. 84.

[42]Il est responsable du grand séminaire où sont formés les futurs prêtres annamites.

[43]Suite à la mousson.

[44]L'autre lettre comporte en effet de la musique tonkinoise. C'est une longue lettre envoyée au printemps 1849. Augustin raconte dans le détail l'organisation de la Mission et ses débuts avec son évêque. Elle sera publiée dans un prochain numéro.


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