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L ' Abbé Grégoire, prêtre et révolutionnaire

 

L ' Abbé Grégoire est un prêtre lorrain qui a vécu de 1750 à 1831. Ces dates indiquent d ' emblée qu ' il a été un contemporain de ce grand bouleversement, qui a été en quelque sorte « l ' accoucheur » de la France moderne, à savoir la Révolution. On ne saurait oublier, en effet, que jusqu ' à aujourd ' hui nous demeurons les héritiers de cette époque révolutionnaire, même si la conscience en est moins vive que par le passé.

Mais l ' Abbé Grégoire n ' a pas été seulement un contemporain de la Révolution française. Il en a été un acteur de premier plan, d ' abord au niveau local , et surtout, à partir de 1789, au niveau national.

Or un conflit violent a progressivement surgi entre le mouvement révolutionnaire et l ' Eglise catholique. Henri Grégoire, resté fidèle à son état sacerdotal, a adhéré aux idéaux révolutionnaires. Le rôle qu ' il a joué durant cette période révolutionnaire, les positions qu ' il a défendues ont forcément influencé le souvenir qu ' il a laissé. Dans la mémoire collective de l ' Eglise de France, la réputation de l ' Abbé Grégoire garde quelque chose de sulfureux.

 

Cet exposé vous convie à un parcours de type chronologique. L ' histoire de la vie de l ' Abbé Grégoire va être retracée en 4 séquences principales, mais d ' inégale importance.

 

1) Henri Grégoire, prêtre de la France d ' Ancien Régime.

Henri Grégoire naît le 4 décembre 1750 dans une famille modeste, puisque son père est artisan tailleur. Néanmoins, il effectue de solides études qui le mènent jusqu ' à l ' Université.

C ' est l ' occasion ici de rappeler que, dans la France prérévolutionnaire l ' instruction est déjà beaucoup plus développée qu ' on ne le croit souvent. Les Français de 1789 ne sont nullement un peuple d ' analphabètes. Ce développement de l ' instruction caractérise notamment les provinces du Nord-est du pays, tardivement rattachées au royaume de France. La raison en est d ' ordre religieux. La Lorraine, comme les régions avoisinantes, appartient à cette zone charnière qui s ' est formée, lors de la rupture de l ' unité de la Chrétienté occidentale au XVIème siècle, entre la partie de l ' Europe demeurée catholique et celle qui a adhéré à la Réforme protestante.

Ce contexte conflictuel a conduit les responsables religieux à y développer les institutions et établissements d ' enseignement. Et cet effort de diffusion de l ' instruction ne se limite pas à la création de collèges correspondant à notre enseignement secondaire, mais comporte aussi la création d ' écoles dans les villages.

Les études effectuées par Henri Grégoire sont destinées à le préparer à la prêtrise à laquelle il semble avoir songé assez tôt. Ayant achevé sa formation au séminaire de Metz, il est ordonné prêtre en 1776.

Henri Grégoire a fait preuve au cours de ses études d ' une grande curiosité intellectuelle. Que nous montre l ' orientation de ses lectures ? Le futur abbé Grégoire a manifesté peu d ' intérêt pour les écrits des philosophes du XVIIIème siècle. Il n ' aime pas Voltaire et ne s ' intéressera que tardivement à Rousseau, en particulier quand il aura à étudier les problèmes relatifs à l ' instruction. Aux philosophes des Lumières, Grégoire préfère les grandes figures de l ' Eglise gallicane. Il faut insister sur le fait qu ' au XVIIIème siècle, le gallicanisme, c ' est-à-dire, le courant qui insiste sur l ' autonomie de l ' Eglise de France par rapport à l ' autorité pontificale, reste solidement implanté. La Déclaration des quatre articles , rédigée en 1682 par Bossuet et qui expose les thèses gallicanes, reste un texte de référence.

Grégoire manifeste aussi beaucoup d ' intérêt pour les auteurs représentatifs ou proches du Jansénisme (Pascal, Arnauld). On l ' a assez volontiers présenté comme un adepte de ce courant religieux né au XVIIème siècle et qui conserve de nombreux partisans au XVIIIème. La question du jansénisme divise fortement l ' Eglise de France et la querelle qu ' elle provoque prend une tournure volontiers politique puisqu ' elle met en cause l ' autorité due au Roi et au Pape.

En réalité il est sans doute excessif de voir en Henri Grégoire un adepte déclaré d ' un jansénisme par ailleurs fortement implanté en Lorraine, mais ses écrits reflètent pourtant des conceptions proches le cas échéant de celles de Port-Royal pour lequel il n ' a cessé de manifester de la sympathie.

Enfin le futur abbé Grégoire s ' est également montré curieux d ' auteurs du XVIème siècle, époque où l ' on a beaucoup débattu des rapports entre politique et religion, qui critiquent les abus du pouvoir royal et enseignent le caractère licite de la rébellion contre l ' oppression. Certains pensent qu ' il aurait puisé là certaines des idées politiques qu ' il défendra par la suite.

Ordonné prêtre en 1776, Henri Grégoire est d ' abord vicaire, puis devient en 1782 curé d ' Emberménil (village situé près de Lunéville) où il succède à celui qui a initié sa formation intellectuelle.

Il est donc titulaire durant 7 ans de ce qu ' on appelle dans le langage du temps un bénéfice ecclésiastique. Il faut entendre par là une charge à laquelle est attachée la perception d ' un revenu qui permet d ' assurer la subsistance de celui qui en est pourvu et de fournir les moyens de remplir la mission qui lui est confiée.

Ce système des bénéfices ecclésiastiques est susceptible de provoquer des dérives. Les revenus qui leur sont attachés sont de valeur inégale et la désignation de leurs titulaires peut prendre en considération d ' autres motivations que la qualité spirituelle des postulants. Mais ce type d ' abus se produit surtout lors de la désignation des titulaires des hautes charges ecclésiastiques.

C ' est l ' occasion d ' aborder un autre aspect de la situation du clergé catholique dans la France de la fin de l ' Ancien Régime. Il existe un véritable fossé social entre le haut-clergé (évêques et abbés des monastères) qui se recrute exclusivement dans l ' aristocratie et le bas-clergé (clergé paroissial ou simples religieux) issu des groupes sociaux inférieurs. Il n ' est pas pensable qu ' un membre du bas-clergé, quels que soient les qualités dont il a pu faire preuve, puisse accéder à de hautes fonctions. Cette situation aura d ' importantes conséquence en 1789.

 

Revenons maintenant à Henri Grégoire. Son horizon ne se limite pas au village dont il est le curé et son activité déborde le cadre de son ministère paroissial. Il a également une activité d ' ordre intellectuel. Le XVIIIème siècle est, dans ce domaine une époque de grande fermentation. De nombreuses sociétés de pensée se sont créées, des académies provinciales ont vu le jour. Grégoire se trouve en relation avec celle de Nancy (qui deviendra l ' Académie de Stanislas) ainsi qu ' avec celle de Strasbourg.

Ces société savantes, où peuvent se côtoyer des personnalités de conditions sociales variées, organisent des débats sur des questions diverses concernant la société de ce temps.

Parmi les questions alors débattues, une retient spécialement l ' attention de l ' abbé Grégoire , celle du sort des juifs. Ceux-ci constituent dans l ' Europe d ' alors des communautés mal tolérées, soumises à un statut particulier et faisant l ' objet de mesures discriminatoires. Or le problème se posait dans l ' Est de la France, en Lorraine et surtout en Alsace où résidaient d ' importantes communautés juives (en raison du rattachement tardif de ces provinces à la France).

Grégoire s ' intéresse très tôt à cette question. Il entreprend de s ' informer, de développer sa connaissance du judaïsme et entre en contact avec certains milieux catholiques hébraïsants.

En 1787, Grégoire participe à un concours organisé par la Société Royale de Metz. La question posée était : est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France ? 3 mémoires sont couronnés par l ' Académie de Metz, en août 1788, dont celui de Grégoire intitulé « Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs ». Grégoire y dénonce le sort misérable réservé aux juifs et étudie les moyens de les sortir de leur condition. Voici un extrait de ce texte :

«  Il semble que l ' autorité souveraine ait conspiré à élever entre les juifs et nous un mur de séparation Il semble qu ' on ait voulu reprocher au créateur de les avoir formés à son image, et détruire cette divine empreinte

A la honte de notre siècle le nom de juif est encore en opprobre, et souvent les disciples du maître le plus charitable insultent à des malheureux dont le crime est d ' être juifs

Les juifs sont membres de cette famille universelle qui doit établir la fraternité entre tous les peuples; et sur eux, comme sur vous, la révélation étend son voile majestueux. Enfants du même père, dérobez tout prétexte à l ' aversion de vos frères, qui seront un jour réunis dans le même bercail  »

L ' Essai sur la régénération des Juifs, vite imprimé, connaît un réel succès et apporte à Grégoire un début de notoriété. Mais ce n ' était pour lui que la première étape d ' un engagement qui ne s ' est plus jamais démenti.

Cependant, au moment où l ' abbé Grégoire publie son Essai, la France est entrée dans une phase d ' effervescence politique avec la préparation des Etats-Généraux.

 

2) L ' Abbé Grégoire au cœur des luttes révolutionnaires

Le clergé est concerné par la décision de Louis XVI de réunir, pour la première fois depuis 175 ans, l ' assemblée des Etats-Généraux du royaume, qui se compose de représentants des 3 ordres ou Etats qui composent sa population, Noblesse, Clergé et Tiers-Etat.

Grégoire s ' engage aussi dans ce combat là. Il se préoccupe avant tout de la défense des droits du bas-clergé, face à l ' autorité des évêques. Il fait partie de ceux qui rêvent d ' une Eglise retrouvant la simplicité supposée des premières communautés chrétiennes. L ' Eglise doit être partie prenante d ' une régénération générale du royaume que beaucoup appellent alors de leurs vœux.

Avec un de ses confrères, Henri Grégoire donne l ' impulsion à la création, à la fin de 1787, d ' un syndicat de curés lorrains et, à la fin de janvier 1789, il publie une lettre à MM. les curés lorrains et autres ecclésiastiques du diocèse de Metz où il affirme: «  Comme curés, nous avons des droits. Depuis 12 siècles, peut-être ne s ' est-il jamais développé une occasion si favorable de faire valoir ces droits, de développer des sentiments de patriotisme et d ' honorer le ministère sacré dont nous sommes essentiellement une partie constitutive. »

Au terme des opérations électorales, l ' abbé Grégoire est désigné comme l ' un des 2 représentants du clergé du baillage de Nancy ( l ' autre est l ' évêque de Nancy Mgr de La Fare).

Le fonctionnement des Etats-Généraux est vite bloqué par une question de procédure qui a d ' évidentes implications politiques. Louis XVI a décidé de doubler le nombre des députés du Tiers-Etat désormais aussi nombreux que ceux de la noblesse et du clergé réunis, mais sans préciser si, aux Etats, on votera par tête ou par ordre.

L ' abbé Grégoire se range parmi les partisans de la réunion des députés des 3 ordres en une seule Assemblée, où l ' on voterait par tête. Il travaille activement à persuader les députés du bas-clergé de se désolidariser des prélats et de se rallier au Tiers-Etat. Le 10 juin 1789, il publie une « Lettre d ' un curé à ses confrères députés aux Etats-Généraux » où il dénonce de manière virulente les abus qui sévissent dans l ' Eglise de France. Il s ' en prend aux « prélats fastueux qui vont quelquefois se montrer avec pompe dans leurs diocèses , aux commendataires dont la vocation eut pour motif l ' espérance d ' un riche bénéfice , aux ecclésiastiques mondains dont le costume aussi équivoque que leurs mœurs laisse douter à quelle espèce ils appartiennent  »; et il ajoute : «  Jamais les curés, assemblés en pareil nombre, ne trouveront une occasion aussi favorable de reconquérir leurs droits envahis par le pouvoir épiscopal, d ' extirper l ' abus qui, dans l ' Eglise, règle presque toujours la considération et le revenu en raison inverse du mérite et du travail. »

 

Dès le 14 juin, Grégoire est un des premiers curés à rejoindre le Tiers-Etat. Il est présent le 20 juin 1789 lors du Serment du Jeu de Paume et se trouve représenté au 1 er plan sur l ' esquisse du tableau que David a entrepris de peindre pour commémorer l ' évènement mais sans jamais l ' achever.

Finalement les Etats-Généraux, institution caractéristique de l ' Ancien régime se transforment en une Assemblée Nationale Constituante, ce qui est un acte clairement révolutionnaire, que le roi se résigne à accepter.

 

Henri Grégoire prend une part très active aux débats qui se déroulent dans cette Assemblée durant plus de 2 ans.

Il participe à la discussion sur la Déclaration des Droits de l ' Homme et défend des positions qui le distinguent des principaux orateurs révolutionnaires. Il propose que le nom de Dieu soit explicitement mentionné. «  L ' homme, dit-il, n ' a pas été jeté par hasard sur le coin de terre qu ' il occupe, et s ' il a des droits, il faut parler de Celui dont il les tient.  »

De même il voudrait que l ' on ajoute à la Déclaration des Droits, une déclaration des devoirs : «  On vous propose de mettre en tête de votre Constitution une déclaration des droits de l ' homme : un pareil ouvrage est digne de vous, mais il serait imparfait si cette déclaration des droits n ' était une déclaration des devoirs. Les droits et les devoirs sont corrélatifs, ils sont en parallèle; l ' on ne peut parler des uns sans parler des autres il est essentiel de faire une déclaration des devoirs pour retenir les hommes dans les limites de leurs droits : on est toujours porté à les exercer avec emprise, toujours prêt à les étendre; et les devoirs, on les néglige, on les méconnaît, on les oublie. Il faut donc établir un équilibre, il faut montrer à l ' homme le cercle qu ' il doit parcourir, et les barrières qui peuvent et qui doivent l ' arrêter.  »

Mais sur ces deux points, il n ' est pas entendu.

Dans les discussions qui préparent la mise en place du nouveau régime politique, l ' abbé Grégoire affiche des opinions qui le situent dans la minorité acquise aux idées démocratiques. Il est hostile au suffrage censitaire que l ' Assemblée Constituante décide d ' établir.

Partisan convaincu d ' une réduction du pouvoir royal, il dénonce violemment la tentative de fuite de Louis XVI à la fin de juin 1791. Le 15 juillet, il se prononce pour la mise en accusation du roi : «  On a dit que le roi ne pouvait être mis en jugement et que, quand bien même cela serait possible, il faudrait une loi préexistante au crime commis. Avez-vous oublié que le salut public est la suprême loi ? Et le salut public exige que les attentats contre la liberté publique soient vengés. Je conclus à ce que l ' activité soit rendue aux corps électoraux pour choisir les députés et qu ' il soit désigné une Convention Nationale qui jugera Louis XVI.  »

Nul ne pouvait alors prévoir que ce programme se réaliserait un peu plus d ' un an plus tard.

 

Les prises de position sur les questions politiques ne sont qu ' un aspect de l ' activité de Grégoire. Le champ de ses interventions est plus large.

Il reste fidèle à son engagement en faveur de l ' émancipation des juifs. Il intervient à plusieurs reprises sur cette question et dépose, à la fin de 1789, une motion tendant à attribuer aux juifs les droits de citoyen. Il justifie sa position en faisant référence à l ' Evangile : «  Pour aimer sa religion il n ' est pas nécessaire de haïr, ni de violenter ceux qui n ' en sont pas. Celle que nous avons le bonheur de professer embrasse par les liens de la charité tous les hommes de tous les pays et de tous les siècles ; charité est le cri de l ' Evangile ; et quand je vois des chrétiens persécuteurs, je suis tenté de croire qu ' ils ne l ' ont pas lu  »

Le combat qu ' il mène avec d ' autres aboutira finalement, mais non sans peine, à l ' adoption, le 27 septembre 1791 par l ' Assemblée Nationale, à la veille de sa séparation, d ' un décret général d ' émancipation des juifs.

 

La défense des droits de l ' Homme conduit également l ' abbé Grégoire à prendre la défense des hommes de couleur vivant dans les colonies françaises d ' Amérique. Très vite après son arrivée à Versailles, il s ' inscrit à la Société des Amis des Noirs. Il prend position en faveur de l ' égalité immédiate entre blancs et mulâtres libres. Sur la question de l ' esclavage, son attitude est plus nuancée. La Société des Amis des Noirs estimait alors à propos des esclaves qu '  «  il ne fallait pas brusquer leur émancipation, mais les amener graduellement aux avantages de l ' état social.  »

L ' opinion de Grégoire, sur cette question, devait par la suite évoluer dans un sens abolitionniste.

Parallèlement aux luttes politiques, Grégoire se préoccupe des problèmes d ' ordre culturel et en particulier de la diffusion de la langue française sur toute l ' étendue du territoire national. «  Les gouvernements ignorent ou ne sentent pas assez, dit-il, combien l ' anéantissement des patois importe à l ' expansion des Lumières, à la connaissance épurée de la religion, à l ' exécution facile des lois, au bonheur national et à la tranquillité publique.  »

Profitant de son audience politique, Grégoire, de sa propre autorité, lance en août 1790 une vaste enquête « sur les patois et les mœurs des gens de la campagne ». Jusqu ' en janvier 1792, il reçoit environ 50 réponses qui constituent un document unique sur lequel il s ' appuiera pour présenter en 1794 un rapport très documenté sur la question.

 

Très présent dans les débats sur les questions politiques, sur la défense des droits de l ' homme, l ' abbé Grégoire ne prend qu ' une part limitée aux discussions sur les problèmes religieux.

En février 1790, il proteste contre la suppression des ordres monastiques. Il ne participe pas à l ' élaboration de la Constitution civile du clergé adoptée le 12 juillet 1790 qui réorganise entièrement l ' Eglise de France. Cette réorganisation était rendue nécessaire par la mise à la disposition de la Nation des biens du clergé pour financer le déficit public. Il fallait donc pourvoir aux besoins financiers de l ' Eglise. Elle s ' inscrit également dans le processus de rénovation générale des structures du pays. Mais cette Constitution civile du clergé est élaborée par le seul pouvoir politique national, sans en référer au Saint-Siège, et elle comporte des dispositions non canoniques (comme l ' élection des évêques et des curés par le corps électoral ordinaire).

L ' abbé Grégoire semble avoir été réservé à l ' égard de ce texte, mais il ne le considère nullement comme contraire à la foi catholique. Avant d ' être un des premiers prêtres-députés à prêter le serment de fidélité imposé par l ' Assemblée, il déclare le 27 décembre 1790 : «  On ne peut se dissimuler que beaucoup de pasteurs très estimables, et dont le patriotisme n ' est point équivoque, éprouvent des anxiétés parce qu ' ils craignent que la Constitution française ne soit incompatible avec les principes du catholicisme Après le plus mûr, le plus sérieux examen, nous déclarons ne rien apercevoir dans la Constitution civile du clergé qui puisse blesser les vérités saintes que nous devons croire et enseigner. Ce serait injurier, calomnier l ' Assemblée nationale que de lui supposer le projet de mettre la main à l ' encensoir. A la face de la France, de l ' univers elle a manifesté solennellement son profond respect pour la religion catholique, apostolique et romaine jamais elle n ' a voulu porter la moindre atteinte au dogme, à la hiérarchie, à l ' autorité spirituelle du chef de l ' Eglise. Elle reconnaît que ces objets sont hors de son domaine Nulle considération ne peut donc suspendre l ' émission de notre serment : nous formons les vœux les plus ardents pour que, dans toute l ' étendue de l ' Empire, nos confrères, calmant leurs inquiétudes, s ' empressent de remplir un devoir de patriotisme si propre à porter la paix dans le royaume et à cimenter l ' union entre les pasteurs et leurs ouailles. »

L ' adoption de la Constitution civile du clergé n ' a rien, en effet, d ' un acte de persécution (la Révolution ne deviendra persécutrice qu ‘ ultérieurement). Le texte a été voté par une majorité de députés catholiques de conviction ou d ' habitude. Mais elle est inspirée par un gallicanisme radical au point de soustraire en fait l ' Eglise de France à l ' autorité de Rome.

Et loin d ' apporter la paix comme l ' imagine Grégoire, elle entraîne de graves dissensions, notamment au sein du clergé entre partisans et adversaires du serment de fidélité exigé par l ' Assemblée (« jureurs » contre « réfractaires »).

Pour remplacer l ' ancien épiscopat (très majoritairement réfractaire) qui a été évincé, on procède aux élections prévues. Sans avoir posé sa candidature, Henri Grégoire est élu évêque de Blois (où son souvenir reste très honoré) en février 1791. Il est sacré évêque à Paris et adresse sa lettre de communion au pape Pie VI :

«  Très Saint Père,

Le respect dont je suis pénétré envers Votre Sainteté me fait un devoir de vous annoncer que les suffrages libres des électeurs du département de Loir et Cher m ' ont appelé au gouvernement de leur diocèse Cette élection s ' est faite conformément aux lois de la Constitution civique du Clergé décrétée par les représentants de la nation et acceptée par notre roi Louis XVI.

J ' ai reçu, Très Saint Père, l ' institution canonique et j ' ai été régulièrement consacré. Je professe d ' esprit et de cœur la religion catholique, apostolique et romaine.

Je déclare que je suis et serai toujours, Dieu aidant, uni de foi et de communion avec vous qui, en qualité de successeur de St Pierre, avez la primauté d ' honneur et de juridiction dans l ' Eglise de Jésus-Christ. Je supplie Votre Sainteté de m ' accorder sa bénédiction. »

Henri Grégoire ne prend en mains l ' administration de son diocèse qu ' en octobre 1791, une fois achevé son mandat de député. Il déploie une activité importante, malgré les oppositions que tente de susciter son prédécesseur Mgr de Thémines, évêque réfractaire. Mais Grégoire n ' a pas le temps de mener une action en profondeur. Dès la fin de l ' été 1792, il est de nouveau accaparé par les tâches politiques

Le 10 août 1792, une insurrection parisienne a renversé la monarchie. Grégoire laisse éclater son hostilité au régime monarchique dans un discours prononcé dans la cathédrale de Blois, lors d ' un service à la mémoire des insurgés morts lors des combats du 10 août :

«    Il faudrait des volumes pour retracer les manœuvres infernales de ce tripot monarchique, de cette cour qui fut l ' asile tutélaire de toutes les conspirations Depuis 15 siècles, l ' Europe est en proie au brigandage de neuf ou dix familles qui jouissent de la misère des hommes, qui s ' abreuvent de leurs larmes  »              

Il est décidé de faire élire par tous les Français une nouvelle assemblée, la Convention nationale chargée de diriger le pays et de lui donner de nouvelles institutions. Grégoire (qui appelait une telle décision de ses vœux depuis plus d ' un an) est élu député du Loir et Cher. Il quitte son diocèse en septembre 1792 pour n ' y reparaître qu ' en septembre 1796.

Dès la première réunion de la Convention, Grégoire intervient pour demander l ' abolition de la monarchie et l ' établissement de la République, ce qui est fait le 21 septembre 1792. Fidèle à ses conceptions, il se prononce pour la mise en accusation de Louis XVI :

«  La royauté fut toujours pour moi un objet d ' horreur ; mais Louis XVI n ' en est plus revêtu Je maintiens   que jamais Louis XVI ne fut roi constitutionnel S ' il est prouvé, et c ' est incontestable, que toujours il fut parjure et contre-révolutionnaire, dites-moi à quelle époque il a été roi constitutionnel Quoi, celui qui s ' efforça sans cesse de paralyser la volonté nationale, d ' étouffer la liberté, de déchirer le sein de la patrie, cet homme eût été roi d ' un peuple généreux ! Non il ne fut jamais que le bourreau et dès lors il est pour nous un prisonnier de guerre : il doit être traité en ennemi  »

Louis XVI est effectivement mis en accusation, mais Grégoire ne peut assister à son procès. Il est alors en mission dans la région des Alpes et il est donc absent de Paris quand la Convention vote sur le sort de Louis XVI. Selon l ' opinion la plus répandue, Grégoire aurait écrit avec ses collègues une lettre à la Convention dans laquelle ils se déclarent partisans de la condamnation du roi, tout en refusant la peine de mort. Mais l ' authenticité du document a été contestée et un doute subsiste sur ce point. En tout cas ses adversaires n ' hésiteront pas à l ' accuser de régicide.

 

Absent de Paris pendant six mois, Grégoire est frappé à son retour, au début de mai 1793, par la dégradation du climat politique. Les diverses fractions du mouvement révolutionnaire s ' affrontent violemment et la Convention est amenée à évincer certains de ses membres sous la menace de la force.

Grégoire va, à partir de là, se tenir à l ' écart des luttes pour le pouvoir. Il est néanmoins témoin de la radicalisation de la politique révolutionnaire, notamment en matière religieuse, avec le développement à partir de l ' automne 1793 d ' une violente entreprise de déchristianisation. Il intervient pour dénoncer les pressions exercées sur les membres du clergé pour qu ' ils abandonnent leur fonction.

Le 7 novembre 1793, alors que l ' archevêque constitutionnel de Paris et ses vicaires épiscopaux viennent devant la Convention renoncer publiquement à leur ministère religieux et pour certains flétrir les croyances qu ' ils avaient professées, Grégoire proclame son attachement à ses fonctions sacerdotales :

« On ne parle que de sacrifices à la patrie, j ' y suis habitué. S ' agit-il d ' attachement à la liberté ? Mes preuves sont faites depuis longtemps S ' agit-il de religion ? Cet article est hors de votre domaine et vous n ' avez pas le droit de l ' attaquer. J ' entends parler de fanatisme, de superstition, je les ai toujours combattu. Mais qu ' on définisse ces mots, et l ' on verra que la superstition et le fanatism e sont diamétralement opposés à la religion. Quant à moi, catholique par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j ' ai été délégué par le peuple pour être évêque, mais ce n ' est ni de lui, ni de vous que je tiens ma mission. J ' ai consenti à porter le fardeau de l ' épiscopat dans un temps où il était entouré d ' épines. On m ' a tourmenté pour l ' accepter, on me tourmente aujourd ' hui pour me forcer à une abdication qu ' on ne m ' arrachera jamais. »

Ces propos suscitent des réactions hostiles, mais Grégoire n ' est pas inquiété.

 

3) Grégoire, entre promotion du savoir et reconstruction de l ' Eglise gallicane

Résolu à se tenir à l ' écart des luttes politiques proprement dites, Grégoire se consacre essentiellement, à partir de la fin 1793, au Comité d ' Instruction Publique où il vient d ' être élu. Il s ' en explique dans ses Mémoires : «  Lorsque la Convention, livrée au brigandage, ne permit plus à la raison l ' accès de la tribune, lorsque le blasphème, les déclarations furibondes et le paroxysme de la frénésie y remplacèrent le langage de l ' humanité et de la sagesse, le Comité d ' Instruction Publique me parut le seul où quelque bon sens s ' était réfugié et celui dont les travaux étaient plus analogues à mon goût .  »

Au Comité d ' Instruction publique, Grégoire accomplit un travail considérable. Il se montre très soucieux du développement de l ' instruction et fait des propositions pour la création d ' écoles communales et d ' écoles normales pour former les instituteurs.

La diffusion de l ' instruction passait, selon lui, par celle de la langue française dans l ' ensemble de la population du pays. C ' est une question dont il s ' était occupé dès 1790. Mais c ' est, en juin 1794 (alors que la politique de Terreur contre les ennemis supposés de la Révolution atteint son maximum d ' intensité) qu ' il présente son célèbre rapport « sur la nécessité et les moyens d ' anéantir les patois et d ' universaliser la langue française ». «  Pour extirper tous les préjugés, écrit-il , développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre les citoyens dans la masse nationale, simplifier le mécanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage l ' unité d ' idiome est une partie intégrante de la Révolution  »

La connaissance de la langue nationale doit permettre de faire des Français des citoyens conscients. Dans la même logique, Grégoire envisage le recours au français dans la liturgie. Il souhaite ouvertement que «  20 millions de catholiques décident de ne plus parler à Dieu sans savoir ce qu ' ils disent et célèbrent l ' office divin en langue vulgaire.  »

Cependant les réalisations en matière d ' instruction restent limitées faute de moyens. Plus efficace est l ' action de Grégoire en faveur du développement des sciences et du savoir en général. Il rappelle volontiers le rôle des intellectuels et des savants dans le progrès moral et politique des sociétés : «  Les savants et les gens de lettres ont porté les premiers coups au despotisme Si la carrière de la liberté s ' est ouverte devant nous, ils ont été les pionniers, ils ont été les législateurs des principes dont vous avez fait l ' application. Sans eux, nous rongerions encore nos fers, et sans les efforts de la République des lettres, la République française serait encore à naître.  »

C ' est à la suite d ' un rapport présenté par lui qu ' est décrétée, en octobre 1794, la création du Conservatoire des Arts et Métiers qui existe toujours;

En octobre 1795, Grégoire participe à la mise sur pied de l ' Institut national des sciences et des arts, destiné à remplacer les anciennes académies royales supprimées en 1793. Il devient lui-même membre de cet Institut, au début de 1796, dans la section des Sciences morales et politiques.

Enfin Grégoire se préoccupe de la sauvegarde du patrimoine artistique et culturel du pays, menacé par des destructions commises au nom de la lutte contre les survivances de l ' Ancien Régime. Il dénonce dans 3 rapports, publiés dans le deuxième semestre de 1794, le vandalisme révolutionnaire. Il a dit lui-même avoir créé le mot pour tuer la chose. Même si la paternité du mot lui est parfois contestée, on ne peut nier la vigueur de ses prises de position : «  On ne peut inspirer au citoyen trop d ' horreur pour ce vandalisme qui ne connaît que la destruction ; les monuments antiques doivent être conservés dans leur totalité.  »

Toutefois Grégoire a l ' indignation quelque peu sélective. Il n ' hésite pas à déclarer que «   la Convention a sagement ordonné la destruction de tout ce qui portait l ' empreinte du royalisme et de la féodalité, » et la profanation des tombes royales à l ' abbaye de Saint Denis ne lui inspire que cette remarque : «  La massue nationale a justement frappé les tyrans jusque dans leurs tombeaux.  »

 

Son activité dans le domaine culturel ne fait pas oublier à Henri Grégoire ses responsabilités religieuses. Ses activités politiques l ' ont coupé de son diocèse avec lequel il est pratiquement sans contact.

Mais l ' évolution générale de la situation politique du pays ne reste pas sans conséquences importantes dans ce domaine. Après la chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II, c ' est-à-dire le 27 juillet 1794, le relâchement de la Terreur politique entraîne progressivement celui de la persécution religieuse et le retour à une relative liberté de culte.

Grégoire demande qu ' elle soit expressément garantie par les pouvoirs publics dans un vigoureux discours prononcé à la fin de décembre 1794 : «  La liberté des cultes existe en Turquie, elle n ' existe point en France ; le peuple est privé d ' un droit dont on jouit dans les Etats despotiques Ne parlez plus de l ' Inquisition, vous en avez perdu le droit, car la liberté des cultes n ' est que dans les décrets, et la persécution tiraille toute la France Je ne rappellerai pas qu ' un espionnage tyrannique a été exercé jusqu ' au sein des familles, et que la liberté des citoyens a été outragée dans l ' asile même de leurs foyers La persécution est toujours exécrable, soit qu ' elle s ' exerce au nom de la religion, ou au nom de la philosophie Si vous étiez de bonne foi, vous avoueriez que votre intention, manifestée jusqu ' à l '  évidence est de détruire le catholicisme Les Français recevront comme une grâce l ' exercice d ' un droit que personne ne peut leur ravir et sans lequel un gouvernement, de quelque nom qu ' on le décore, ne sera jamais qu ' une tyrannie Disons aux citoyens : sous l ' ombre tutélaire des lois, il vous est libre d ' accomplir les actes de votre culte. 

La Convention s ' achemine alors par étapes vers l ' établissement d ' un régime de séparation des Eglises et de l ' Etat assorti d ' une reconnaissance de la liberté des cultes, qui est défini par la loi du 29 septembre 1795.

 

A partir de la mise en place du régime du Directoire , à l ' automne de 1795, Grégoire, bien qu ' ayant été élu député au Conseil des Cinq-Cents une des 2 assemblées établies par la Constitution de l '  An III et en reste membre jusqu ‘ en 1799, se tient en retrait de la vie politique.

Grégoire redevient surtout évêque de Blois et se consacre essentiellement à la réorganisation de l ' Eglise constitutionnelle qui n ' a pas été épargnée par la politique de déchristianisation. De nombreux évêchés sont sans titulaire. De nombreux prêtres ont abdiqué, se sont mariés , sans compter ceux qui ont été guillotinés ou déportés.

Il faut souligner que, pour Grégoire, la notion d ' Eglise constitutionnelle n ' a désormais plus de signification. La Constitution civile du clergé est caduque. Il revient à l ' ancienne dénomination d ' Eglise Gallicane.

En mars 1795, il fonde à Paris, avec 3 autres évêques, le Comité des évêques réunis qui publie une « Lettre de plusieurs évêques de France à leurs frères les autres évêques et aux Eglises vacantes ».

Cette lettre définit le but à atteindre, « que la religion renaisse parmi nous, qu ' elle renaisse comme au temps du Christ ». Le texte réaffirme une totale fidélité à la doctrine de l ' Eglise catholique, mais en matière ecclésiale se prononce en faveur de la collégialité. Les Evêques réunis proposent la constitution de conseils de prêtres pour assister l ' évêque, ainsi que l ' organisation de synodes diocésains devant rassembler tous les prêtres ayant charge d ' âmes.

Pour connaître la situation religieuse du pays, Grégoire lance une enquête et constitue un réseau de correspondants dans chaque diocèse sous couvert d ' une Société de Philosophie chrétienne, fondée en mai 1795. En 1796, est créée une revue, les Annales de la Religion, qui paraîtra jusqu ' en 1803.

Mais la grande affaire est la réunion d ' un concile national qui se tient à Paris d ' août à novembre 1797 et rassemble une centaine de participants. Ce concile se préoccupe notamment :

- de l ' élection des évêques désormais réservée aux seuls catholiques.

- de la liturgie. Le principe de l ' usage du français dans l ' administration des sacrements est envisagé.

- de la discipline ecclésiastique. Le concile se montre intransigeant à l ' égard des prêtres et religieux qui se sont mariés. Il appelle, mais sans succès, à la réconciliation avec les prêtres réfractaires.

Les efforts déployés par Grégoire et les autres évêques constitutionnels portent leurs fruits . Le culte catholique est rétabli dans un grand nombre de paroisses. Mais les résultats obtenus restent fragiles. L ' attitude des pouvoirs publics reste peu favorable, et devient même parfois franchement hostile dans les moments de crise politique. Le Directoire en revient à plusieurs reprises aux mesures persécutrices.

Le changement de régime politique qui intervient avec le coup d ' Etat du 18 Brumaire An VIII (novembre 1799) crée une situation tout à fait nouvelle.

Désireux de rétablir la paix civile en France, Bonaparte 1 er Consul entend résoudre le problème religieux légué par la Révolution et, pour cela, il entreprend de négocier directement avec le Saint-Siège. La conclusion d ' un Concordat en juillet 1801 compromet l ' existence d ' une Eglise gallicane indépendante de Rome ( Le second concile gallican, réuni au début de l ' été 1801, est interrompu).

L ' accord conclu entre le gouvernement français et le Saint-Siège prévoit la démission généralisée des 2 épiscopats rivaux, celui d ' Ancien Régime comme celui de l ' Eglise ex-constitutionnelle. Grégoire se soumet et donne sa démission de son siège de Blois en octobre 1801. «  N ' ayant consenti, écrit-il, … à me laisser imposer le fardeau de l ' épiscopat que parce que cette Eglise ne pouvait rester sans pasteur et dans l ' unique vue d ' y conserver l ' exercice de la religion catholique c ' est avec joie que je vois arriver le moment où il m ' est possible de donner ma démission sans compromettre les intérêts de la religion, ni ceux de la République.  » Mais il ajoute :   «  Je persiste invariablement dans les principes que j ' ai constamment professés et que j ' ai confirmé par serment spécialement comme citoyen dans ma fidélité à la République ; comme évêque dans mon attachement aux libertés de l ' Eglise gallicane  »

Certains ont avancé l ' hypothèse que l ' on aurait songé à confier à Grégoire le gouvernement d ' un des nouveaux diocèses créés en vertu du Concordat, voire de l ' archevêché de Paris. En réalité il est quasiment improbable que Bonaparte, qui connaît le caractère indocile du personnage, et encore moins le Saint-Siège, qui voit en lui le promoteur d ' une Eglise gallicane indépendante de facto de Rome, aient envisagé une telle perspective.

La situation de l ' ancien évêque de Blois à l ' égard de l ' Eglise est tout à fait régulière, mais plus aucune fonction ecclésiastique ne lui est désormais confiée.

 

4) Henri Grégoire, de la vie publique à l ' activité littéraire.

Henri Grégoire reste malgré tout un homme public. Il est nommé en décembre 1801 au Sénat, assemblée créée par le régime du Consulat. Il ne tarde pas à s ' y ranger dans l ' opposition à l ' évolution dans un sens autoritaire, du régime consulaire.

Il vote contre l ' établissement de l ' Empire en 1804, contre la reconstitution en 1808 d ' une noblesse héréditaire, ce qui n ' empêche pas Napoléon d ' en faire un comte d ' Empire. Il vote contre le divorce impérial en 1809, et en 1814 se prononce pour la déchéance de l ' Empereur. Il rédige à cette occasion un texte qui est un violent réquisitoire contre le régime impérial : «  La nation française est arrivée au dernier terme de l ' esclavage et du malheur Jamais peut-être le chef d ' un Etat ne fut autant que Napoléon entouré de tous les moyens propres à opérer le bonheur d ' un grand peuple : et l ' on peut douter s ' il n ' est pas plus coupable à raison du bien qu ' il n ' a pas voulu faire que par le mal qu ' il a fait Il a surpassé de beaucoup tous les Attilas par l ' effusion du sang humain  »

L ' opposition de Grégoire au régime impérial a été tolérée Il n ' a jamais été inquiété.

En revanche la monarchie restaurée après la chute de Napoléon se montre hostile à Grégoire. En 1816, il est radié de l ' Institut . En 1819, il se laisse convaincre d ' être candidat aux élections législatives dans le département de l ' Isère. Il est élu avec le soutien des libéraux. Mais, considéré comme régicide, il est jugé indigne de siéger à la Chambre des députés et son élection est invalidée.

Cet évènement est le dernier de sa vie publique.

En fait, depuis 1801 déjà, Grégoire était redevenu pour l ' essentiel un homme privé. Il retrouve certaines de ses activités d ' avant la Révolution. Il voyage beaucoup dans les pays voisins de la France où il est accueilli par les sociétés savantes et par les communautés juives.

Il entretient une abondante correspondance, notamment avec les anciens membres du clergé constitutionnel, et surtout Grégoire se consacre à des travaux littéraires. Durant les 30 dernières années de sa vie, il publie un grand nombre d ' articles, de brochures, d ' ouvrages sur des sujets très variés.

Il reste fidèle aux causes qu ' il défend depuis longtemps. Il publie des articles sur les juifs et surtout il continue à s ' intéresser à la cause des noirs, d ' autant que l ' esclavage, aboli en 1794 par la Convention, a été rétabli par Bonaparte en 1802. De nombreux ouvrages sont consacrés à cette question.

Grégoire se fait aussi historien. Il publie en 1801 un ouvrage intitulé « Les Ruines de Port-Royal ». En 1818, paraît un « Essai historique sur les libertés gallicanes », thème qui lui tenait particulièrement à cœur, mais l ' ouvrage est mis à l ' Index.

Enfin Grégoire entreprend de rédiger ses « Mémoires », parues en 1808, et qui sont une des principales sources sur sa vie et son œuvre.

L ' activité littéraire de Grégoire se poursuit pratiquement jusqu ' à la fin des années 1820 malgré l ' affaiblissement progressif de sa santé.

 

Il semble avoir eu le pressentiment de ne pas pouvoir mourir en paix. Dans une note rédigée en 1825, il écrit : «  Le clergé insermenté, émigré, rentré, célébra un service funèbre pour l ' astronome Delalande qui, dans sa longue carrière, professa l ' athéisme le plus révoltant accorda des funérailles chrétiennes à Volney, mort très décidément incrédule ; qui sait si la haine persistante du clergé qui, actuellement domine la France, ne les refusera pas à l ' évêque qui, dans la Convention au milieu des hurlements de l ' impiété, se déclara persévérant dans ses principes comme catholique et comme évêque  »

De fait, une dernière épreuve attendait l ' abbé Grégoire. Au printemps 1831, atteint d ' un cancer et sentant la mort venir, il demande que lui soient administrés les derniers sacrements. Mais l ' archevêque de Paris exige qu ' au préalable Grégoire rétracte son serment à la Constitution civile du clergé, lui demandant «  une conversion, qui pour être tardive, n ' en consolerait pas moins l ' Eglise que vous avez si longtemps contristée.  »

Mais Grégoire refuse de se soumettre. Il affirme avec force l ' intégrité de sa foi et son attachement à l ' Eglise catholique. Mais il entend rester fidèle à ses convictions et déplore l ' attitude d ' un clergé qui rêve d ' un retour à l ' Ancien Régime.

A l ' archevêque de Paris, il écrit :  «    Ma vie toute entière et mes ouvrages déposent assez de l ' intégrité de ma foi, pour que je me croie dispensé de subir l ' injurieuse condition de proclamer de nouveau, au lit de douleur les vérités d ' une religion dans laquelle j ' ai eu le bonheur de naître, que je n ' ai cessé un seul instant de professer et de défendre au milieu des circonstances les plus périlleuses J ' ai toujours cru et je l ' ai toujours professé, que la religion de Jésus-Christ était l ' amie de la liberté et de toutes les idées généreuses Si toutes les formes de gouvernement ne lui sont pas indifférentes, elle se soumet à toutes ; mais sans doute, il m ' a été permis de préférer la république. Ils sont bien coupables les ecclésiastiques qui ne mêlent la politique à la religion que pour mettre l ' une dans la dépendance de l ' autre  »           

Finalement les derniers sacrements lui sont administrés par le confesseur de la reine Marie-Amélie, ce qui coûte à ce dernier son élévation à l ' épiscopat.

L ' abbé Grégoire meurt le 28 mai 1831. Ses obsèques religieuses, sont l ' occasion d ' une importante manifestation. Un cortége, estimé à quelques 20.000 personnes, accompagne sa dépouille mortelle.

 

Au total pour caractériser l ' abbé Grégoire, on peut reprendre ces quelques lignes extraites des souvenirs du fils de l ' ancien conventionnel Thibaudeau : «  Prêtre jusqu ' au bout des ongles et au fond de l ' âme il était avec tant de bonne foi, de candeur, de courage et de dévouement patriote et révolutionnaire.  »

 

 

Dominique Perrin

      

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