Javascript Menu by Deluxe-Menu.com L'abbé Choux à la Bibliothèque diocésaine de Nancy

Le chanoine Jacques Choux (1919 - 2002)

 

Chacun sait qu'il avait fait don de l'essentiel de sa bibliothèque à la bibliothèque diocésaine, près de cent cartons. Il n'avait pas souhaité que son soutien financier soit connu. Ce soutien fut cependant, à un moment délicat, tout à fait important. La grande tapisserie qui ornait son salon d'entrée orne à présent le centre de documentation sur les religions de la bibliothèque. Le cardinal Tisserant avait légué ses livres (et ses archives) par testament. Le chanoine Choux s'est dépouillé de ses collections progressivement afin qu'elles servent à d'autres par l'intermédiaire de la bibliothèque du diocèse. Trois livres importants, qu'il avait promis, ne sont pas venus, notamment un incunable de droit canonique et un livre d'heures, imprimé du début du XVIe s., orné de gravures sur bois.
Grâce à ce grand bienfaiteur, la bibliothèque diocésaine peut mettre à la disposition des lecteurs un fonds de livres d'art et d'histoire beaucoup plus important. Les legs et les dons sont essentiels pour accroître l'intérêt de la bibliothèque.
Nous garderons le souvenir d'un homme cultivé et modeste, sérieux et malicieux qui aura cherché tant que cela lui a été possible. Ses dernières recherches portaient sur les pèlerinages de lorrains à Jérusalem et sur une explication liturgique des suaires.
M. Hubert Collin, conservateur des Archives départementales, a bien voulu retracer la vie du chanoine Jacques Choux. Nous le remercions.
B.S.

Le mardi 10 septembre 2002 à Nancy est mort, en la Villa Saint-Pierre Fourier, celui que tout le monde appelait familièrement "l'abbé Choux" et qui fut l'un de nos meilleurs savants du XXe siècle.

Il était né à Lunéville le 10 septembre 1919, au sein d'une famille tenant un commerce de tissus et de draps, dans une maison toute proche de la Schoule, qui est le nom qu'on donne à la synagogue de Lunéville.

Il fit ses premières études au collège de sa ville natale, alors fréquenté aussi par les enfants des juifs qui étaient les fidèles de la Schoule, ce qui lui valut d'acquérir très tôt une vraie familiarité avec le petit monde israélite, alors si présent en Lorraine.

Au collège de Lunéville, le jeune Jacques Choux devint un remarquable latiniste et un excellent germaniste. Il passait toutes ses vacances auprès de ses grands parents, agriculteurs à Moyen sur la Mortagne. Il y gagna une profonde connaissance du milieu paysan lorrain et une science parfaite de ses parlers et de ses traditions.

Ayant choisi de devenir prêtre, il entra au Grand séminaire diocésain de Nancy en 1938. La guerre interrompit ses études. Mobilisé comme sous-officier d'artillerie à cheval, il fit campagne en échappant à la captivité et se retrouva dans l'armée d'armistice à Montpellier. Démobilisé en 1942, il regagna le Grand séminaire de Nancy et fut ordonné prêtre le samedi saint de 1946. Au séminaire, il avait pris le temps d'apprendre l'hébreu.

Il commença une carrière ecclésiastique à plusieurs volets, comme nous dirions volontiers. A partir de 1946, il devint secrétaire à l'Evêché tout en étant vicaire à Saint-Georges. A l'Evêché, il s'activait à la coopérative de reconstruction des églises démolies pendant la guerre. Ses rares loisirs lui permirent de fréquenter assidûment la Société d'archéologie lorraine où il fut bientôt remarqué par Pierre Marot et par Edouard Salin. Pierre Marot sut obtenir de Mgr Lallier, alors évêque de Nancy, que le jeune prêtre bénéficiât d'un congé spécial pour aller à Paris accomplir deux années d'études à l'Ecole du Louvre, à l'Ecole des Chartes et à l'Ecole des Hautes-Etudes. Ce fut en 1950-1951. Il sortit de cette dernière école avec une thèse sur l'épiscopat de Pibon : recherches sur le diocèse de Toul au temps de la réforme grégorienne, thèse parue en 1952. Sa thèse complémentaire fut consacrée à la cathédrale de Toul avant le XIIIe siècle et publiée en 1955.

De retour en Lorraine, tout en continuant d'exercer des fonctions administratives à l'Evêché et des fonctions pastorales, ces dernières auprès des Soeurs de Saint-Charles, il entra au Musée lorrain comme conservateur. Ce furent alors, pour le Musée, avec Pierre Marot, Edouard Salin et Albert France-Lanord, près de trente cinq années d'une activité extraordinaire : on réalisa des travaux intérieurs considérables, tels que l'installation du chauffage central en 1957-1958, on réorganisa la section archéologique, la Galerie des Cerfs, les salles du XVIIIe siècle, les bureaux de la conservation et de la bibliothèque, travaux accompagnés d'une vigoureuse politique d'achats : la Femme à la puce, de Georges de La Tour, achetée en 1955, en même temps que le Joueur de vielle, le Saint François de Paule de Charles Mellin, la maquette en bronze de la statue de Louis XV, entrée en 1958, les innombrables merveilles de la collection Marcus. Ce fut aussi la création de la salle Juive et, en 1981, l'ouverture de la section des Arts et Traditions populaires installée dans l'ancien couvent des Cordeliers, réaménagement demeuré inachevé. C'est dans la conduite de ce chantier chaotique, mené avec des moyens improvisés, que les talents de l'abbé Choux, expérimentés sur les chantiers des églises dévastées, purent donner toute leur mesure.

Le Guide Michelin vert, qui ne distribue pas ses étoiles avec largesse, octroya trois étoiles noires au Musée lorrain dans son édition "Vosges-Lorraine-Alsace" alors que dans le même guide, aucun musée de Strasbourg n'a jamais obtenu plus de deux étoiles.

L'abbé Choux, comme conservateur de Musée, sut se montrer un merveilleux maître d'archéologie monumentale et d'histoire de l'art. C'est lui qui fut le premier fondateur et le premier moniteur de l'Inventaire général de Lorraine, institution qui a eu le Musée lorrain pour premier berceau (1966). C'est l'abbé Choux qui en a formé la première équipe. Mais soucieux également d'imprimer dans les esprits un vrai mouvement d'élargissement en faveur des musées et des monuments, il organisa un grand nombre de voyages d'études à l'étranger en faveur d'étudiants ou de collaborateurs du Musée lorrain. Ces voyages étaient merveilleusement organisés, tant sur le plan scientifique que sur le plan touristique. Combien sont-ils, les jeunes chercheurs, qui ont découvert grâce à lui, à Rome, le Musée des Conservateurs ou la Galerie Pamphili-Doria, à Vienne, Le Kunsthistorisches Museum, à Munich, le Palias de la Résidence et le château de Nymphenburg, à Cologne, le Wallraf-Richards et le Schnütgen Museum, sans oublier les abbayes de Melk, d'Ottobeuren, de Wessobrunn, de Zwiefalten, de Vierzehnheiligen et même, dans le domaine médiéval, celle de Maulbronn ou d'Eberbach. A pleines poignées, l'abbé Choux sut alors semer les comparaisons, les images et les associations d'idées. Jamais il ne se montra si brillant ni si savant que dans sa petite université de plein vent. Il fut aussi le premier animateur des excursions de la Société d'archéologie lorraine.

L'abbé Choux se retira du Musée lorrain à la fin de 1984. Ce n'était pas pour prendre sa retraite, mais pour consacrer ses dernières forces au diocèse de Nancy. Nommé Official, c'est-à-dire juge canonique pour les affaires sacramentelles et disciplinaires, en 1986, il fut également promu à la dignité de chanoine. Parallèlement, le nouveau chanoine poursuivit son oeuvre d'érudit et mit un terme à celle-ci en offrant, sacrifice suprême pour un savant, son importante bibliothèque personnelle à la Bibliothèque du Grand Séminaire diocésain de l'Asnée.

Le chanoine Jacques Choux a laissé une bibliographie de plus de 200 titres. Parmi ceux-ci, on peut relever les ouvrages de cinquante pages et plus que voici : L'art populaire de Lorraine, en collaboration avec Adolphe Riff (1966) ; le Catalogue de l'exposition Lorraine-Autriche à Lunéville (1966) ; L'obituaire de Beaupré, de l'ordre de Cîteaux (1968) ; Le Vieux Nancy, en collaboration avec Pierre Marot (1970, rééd. 1993) ; le Nobiliaire de la Lorraine et du Barrois, réédition augmentée du nobiliaire de dom Pelletier, 3 vol. (1974) ; le Dictionnaire des châteaux de Lorraine, ouvrage en collaboration paru aux éditions Berger-Levrault (1978) ; La Lorraine chrétienne au Moyen Age, recueil d'articles publié en 1981.

Notre auteur fut aussi un collaborateur assidu de la Bibliotheca sanctorum, de l'université du Latran (18 articles) ; du Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastique, éd. Letouzey et Ané (articles sur St. Gérard, St Gauzelin, Grégoire VII etc.) ; l'Enciclopedia dei religioni (article sur St Pierre Fourier) ; le Lexikon für Theologie und Kirche ; la New Catholic Encyclopedia (12 articles sur la Lorraine).

Jacques Choux fut l'un de nos derniers prêtres savants de grande envergure, derrière le cardinal Eugène Tisserant, le chanoine Etienne Drioton, Mgr Charles Aimond, Mgr Emile Amann, pour ne citer que les plus récemment disparus.

Les obsèques du chanoine Jacques Choux ont été célébrées en l'église de Moyen le samedi 14 septembre 2002, en présence de Mgr Papin, évêque du diocèse, entouré d'une quinzaine de prêtres. Une forte délégation de notre association assistait au service funèbre.
Nous garderons fidèlement son souvenir.

Hubert COLLIN, directeur des Archives Départementales de Meurthe et Moselle

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